Première crise du quartet gouvernemental
Au lendemain des dernières élections législatives, la troïka avait laissé la place à un quartet, une coalition de quatre partis économiquement libéraux : Nidaa Tounes, Ennahdha, UPL, et Afek Tounes (8 sièges). Malgré sa loyauté dans le soutien au gouvernement Essid, ce dernier parti s’estime aujourd’hui trahi, négligé dans les prises de décision de l’exécutif.
« On n’a pas consulté Afek Tounes concernant les dernières nominations de gouverneurs », regrette l’élu Riadh Mouakhar, l’un des leaders du parti, membre de son bureau politique. Six nouveaux gouverneurs avaient prêté serment le 14 avril devant le président Béji Caïd Essebsi pour des gouvernorats stratégiques dont Gafsa, Gabès, Jendouba, Tataouine et Zaghouan. Le plus controversé, Chokri Belhassen, a été nommé à Kairouan.
Ancien coordinateur régional Nidaa Tounes à Sousse, il est accusé d’avoir un « passé RCDiste ». Son choix renoue avec les nominations dites partisanes, précisément ce que l’on a longtemps reproché à l’ancienne troïka au pouvoir. A Kairouan, un sit-in des habitants avait eu lieu en début de semaine devant le siège du gouvernorat pour protester contre son investiture.
Si le communiqué rendu public par Afek Tounes s’attarde sur la question des nominations des hauts fonctionnaires de l’Etat, c’est que d’autres secteurs sont concernés, comme la récente nomination de Aziza Htira à la tête du Centre pour la promotion des exportations (CEPEX) à la place d'Abdellatif Hmam. Ancienne députée au parlement d’avant révolution et ex présidente de l’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT), l’économiste est aussi une ancienne fervente défenseur du président déchu Ben Ali (exemple d’éloges ici à la minute 01:20).
Pourtant, Afek Tounes ne tarit pas d’efforts en termes de « collaboration » avec l’actuel gouvernement. Depuis le 13 avril, une campagne de l’agence publicitaire Karoui & Karoui (la même qui avait mené la campagne de Nidaa Tounes), précédée par un teasing sur les réseaux sociaux, tente de sensibiliser les Tunisiens au « devoir de vigilance ». Parmi les slogans de cette campagne d’affichage patriote : « Garde les yeux sur ton quartier », suivi de la mention des numéros de la police nationale et de celui du ministère de l’Intérieur qu’il faut, selon Afek, appeler « pour se prémunir contre les actions terroristes ».
Mine de rien, il s’agit d’un important tournant stratégique et politique du parti néolibéral. Jusqu’ici, Afek Tounes ne participait en effet au gouvernement Essid qu’au nom des compétences que regroupe le parti « désireuses d’apporter leur savoir-faire » à titre de technocrates, d’où la nature du portefeuille confié à Yassine Brahim, celui du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale. Mais en s’immisçant dans les questions relatives à la sécurité nationale, voire à la délation diront certains, Afek Tounes s’inscrit désormais dans une parfaite démarche d’une droite intégrale classique, économique et sécuritaire.
S’ils s’exécutent conformément à la discipline de parti en relayant la campagne, de nombreux jeunes Afek Tounes appartenant au courant "libéral-progressiste", plutôt hostiles à l’ancien régime et à l’esprit sécuritariste, n’hésitent pas en off à critiquer cet alignement.
En adéquation avec le credo du réformisme plutôt que celui de l’opposition, le leadership Afek entend profiter de cette crise pour renforcer sa position au sein du quartet au pouvoir. Ainsi son secrétaire général Faouzi Ben Abderrahmen expliquait mercredi son souhait de former « un front politique autour du gouvernement » (littéralement « une ceinture politique ») qui assurerait à ce dernier davantage d’efficacité notamment à l’Assemblée.
Prévisible, la droite tunisienne est en passe de renouer avec les vieux démons des droites partout dans le monde.
Seif Soudani