Pourquoi Nidaa Tounes est-il définitivement mort le 9 janvier 2016 ?
Le chassé-croisé du 9 et 10 janvier est sans doute l’un des évènements politiques les plus importants depuis la révolution : à Sousse, le meeting « préparatoire du congrès » Nidaa, qui se voulait une renaissance du parti avec refondation sur une base héréditaire, sonne paradoxalement le glas du parti, avec une faillite éthique, doublée d’une confusion idéologique résultant de l’invitation de Rached Ghannouchi. Au même moment à Tunis, Mohsen Marzouk, chef de fil de la dissidence, avait un boulevard pour rebâtir un parti, mais dans quelles conditions … ?
Lundi 11 janvier, avant la session plénière consacrée au vote de confiance pour le remaniement ministériel, le nombre des députés Nidaa Tounes démissionnaires de leur bloc parlementaire s’élève désormais à 19, ce qui enlève mathématiquement la majorité au parti.
Une conception tiers-mondiste de la politique
La veille, au congrès non électif de Sousse, à la faveur d’un tour de passe-passe, les postes de président et de secrétaire général sont supprimés « pour couper court aux accusations de népotisme » nous dit-on, mais un poste de « secrétaire national chargé du bureau exécutif et représentant juridique » du parti et créé… et il est confié à nul autre que Hafedh Caïd Essebsi, qui devient numéro 1 du parti de son père. Comme au temps de Ben Ali, on fait l’inverse de ce qu’on annonce, une culture qui a la peau dure.
Autre dérive dénoncée par certains sympathisants, les chefs d’entreprise Faouzi et Selma Elloumi, frère et sœur, figurent tous deux dans la liste des nouveaux secrétaires généraux désignés par cooptation. « Même à l’école, on évitait de mon temps d’inscrire deux enfants d’une même famille dans la même classe », ironise Abdessattar Massoudi, cadre démissionnaire du parti. 42 membres de l’ex bureau exécutif du parti ont par ailleurs rejoint la dissidence de Marzouk.
A Sousse, les chefs et les représentants des partis de la coalition du pouvoir, de quelques grandes ONG, et même de quelques partis d’opposition, se sont bousculés à la tribune de Nidaa, « clan Hafedh Caïd Essebsi », comme pour entériner et apporter leur soutien au parti sous sa forme nouvelle. Problème, ce dernier alignait parmi les intervenants un président de la République en exercice, une fois de plus au mépris de l’article 76 de a Constitution.
La scène a quelque chose de 2009, un passé proche où certains partis théoriquement d’opposition se bousculaient pour normaliser la candidature de Ben Ali. Jusqu’au bout, certains attendaient de voir de leurs yeux pour y croire : en ouverture du congrès, le président de la République est bien là.
Il est non seulement présent, mais loin d’assurer une « présence à titre honorifique » comme expliqué par le parti, il se comporte en chauffeur de salle, éructant en entonnant l’hymne national, parcourant survolté la scène, sous les regards des militants et leurs téléphones portables qui le mitraillent de photos. Le ton est donné. « On dirait un chef d’orchestre », commente-t-on à Nessma TV, qui diffuse l’event en direct avec deux autres chaînes dont la TV nationale.
Le message est clair : Hafedh Caïd Essebsi est le véritable maître de cérémonie : il a pu faire venir le fondateur du parti, mais il ne s’est pas arrêté là. Car vient ensuite la surprise du chef : ultime provocation destiné à Mohsen Marzouk, le dissident qui avait vu d’un mauvais œil le rapprochement politique avec Ennahdha, c’est Rached Ghannouchi en personne qui est reçu avec les honneurs. L’ennemi juré d’hier est invité à s’exprimer à la tribune du parti, non sans causer quelques remous jusque dans l’audience, partagée entre applaudissements et timides indignations. Qui l’eût cru ?
Derrière cet apparent consensualisme qui va jusqu’à la fusion des deux plus grandes formations politiques du pays, nous sommes face à une préoccupante volonté d’étouffer le pluralisme tunisien démocratique naissant.
Seif Soudani