Tunisie. Pourquoi l’abstention reste de mise au second tour des législatives ?
Le taux de participation officiel au second tour des élections législatives en Tunisie ne s’élève qu’à 11,3%, soit 0,1% de plus que le déjà peu reluisant record mondial d’abstention enregistré lors du premier tour. Moins de 5% des 18-25% ont voté, tandis que les plus de 46 ans représentent plus des deux tiers des votants.
Ce taux de participation a été déterminé à 18h00 et est sujet à une infime marge d’erreur selon l’ISIE
C’est ce que l’on a appris hier soir dimanche 29 janvier, via le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Farouk Bouaskar, lors d’une conférence de presse tenue au Palais des congrès de Tunis. Sur place, l’atmosphère était loin de l’effervescence qu’avait jadis connu ce lieu lors de l’annonce des résultats des législatives de 2011, de 2014, et même de 2019 (compris entre 41% et 69% de taux de participation).
Car même si la mission de l’ISIE consiste à superviser, arbitrer et veiller au bon déroulement des scrutins, ses membres sont conscients que l’image de cette institution pâtira durablement de ces piètres résultats, d’autant que cette fois l’actuel pouvoir, celui de Kais Saïed, a clairement flirté avec les limites des attributions de l’instance, modifiant la loi électorale à sa guise, et requérant de l’ISIE qu’elle fasse absolument réussir ce rendez-vous clé, en étant à la hauteur de la vague populaire que Carthage espérait revendiquer. Force est de constater que le Palais était loin du compte. Tirera-t-il pour autant les conséquences de ce naufrage ?
Souhaitant visiblement se distancier de celui qu’il a lui-même nommé, le président Saïed n’a plus reçu Farouk Bouasker lors de l’entre-deux tours, là où leurs entrevues étaient fréquentes jusqu’au 17 décembre 2022.
Les significations d’un désintérêt général
Pour la seconde fois en un mois et demi, la Tunisie bat ainsi le record du monde de la plus mauvaise participation à des élections générales, loin devant Haïti qui reste deuxième avec 17,82%, sinistré par la crise en 2015. Ce camouflet intervient quelques heures après que l’agence Moody’s ait dégradé pour la 10 fois consécutive la note souveraine du pays à Caa2 avec perspectives négatives.
Imperturbable en apparence, le chef de l’Etat ne semble guère se soucier ni de ce désaveu électoral, ni de l’insolvabilité du pays, lui qui s’inscrit manifestement dans un temps long, celui de la « reconstruction » qui nécessite de repenser le modèle économique et le système de gouvernance selon une panacée dont lui seul connaîtrait le secret et dont pourrait bénéficier « l’Humanité tout entière » comme il aime à souvent le déclamer. Qu’importent donc les anecdotiques accidents de parcours, puisqu’on ne fait pas de véritable révolution sans casser des œufs, et que ce grand projet demeure incompris.
Pourtant, l’un des principaux exégètes de ce Message présidentiel, Ahmed Chaftar, pour qui il s’agissait moins de faire campagne que d’expliciter la providence aux masses du peuple, a lui-même échoué en ce second tour à être élu dans sa circonscription natale de Zarzis. Peu importe sans doute là aussi, puisque ce Parlement naîtra sans grandes prérogatives conformément à la nouvelle Constitution qui d’une manière générale n’affectionne pas les corps intermédiaires, des corps qui ne sauraient que parasiter l’harmonie d’un Guide suprême faisant précisément corps avec son peuple.
Plus sérieusement, l’opposition comme la centrale syndicale UGTT attendaient chacune de pied ferme le résultat définitif de ce scrutin des législatives, qu’elles savaient difficilement falsifiable par les autorités, pour s’affranchir du mythe de l’engouement populaire dont jouirait indéfiniment le président Saïed. Or, pour nombre de politologues, ce désintérêt des Tunisiens de la chose politique n’est pas nécessairement synonyme de rejet à l’encontre de la personne du président de la République.
Ce dernier jouit en effet encore d’une certaine adhésion des classes laborieuses, d’un silence tacite des éradicateurs de l’islam politique, et plus généralement d’une forme de complaisance auprès du tunisien moyen qui associe davantage l’appauvrissement du pays à la démocratie parlementaire de ces 10 années qu’au règne d’un seul homme qui lui rappelle l’époque d’une Tunisie plus prospère. Pour les élites et l’opposition démocratique, tout reste donc à faire, même si un Parlement fantoche à forte composante populiste et les pénuries alimentaires qui s’installent pourraient rompre le statu quo et accélérer la chute de l’actuel régime.