Polémique autour des tournages de feuilletons ramadanesques

 Polémique autour des tournages de feuilletons ramadanesques

Capture du feuilleton « Awled Moufida »


Depuis qu’en pleine période de confirment strict, le ministère des Affaires culturelles a annoncé avoir autorisé la reprise des tournages des feuilletons télévisés prévus pour le mois de ramadan (attendu pour le 23 avril cette année), la polémique enfle, aggravée par une communication laborieuse d’une nouvelle ministre issue elle-même du secteur de l’audiovisuel.


Le ministère de tutelle a beau préciser que cette dérogation ne s’applique qu’aux sociétés de production audiovisuelle et aux chaines de télévision ayant déjà obtenu au préalable des autorisations de tournage, que « les équipes techniques et artistiques devront être totalement confinées pendant toute la durée du tournage et qu’elles seront testées au convid-19 avant et après le tournage », pour autant la controverse va bon train au moment où l’on demande aux Tunisiens de ne pas relâcher l’effort de confinement général à l’approche d’une 4ème semaine qualifiée de cruciale par les autorités sanitaires du pays.


« Les responsables des tournages doivent s’engager également à ce que les équipes ne dépassent pas les 10 personnes dans les lieux clos, et 20 personnes dans endroits ouverts. Il est également exigé que tout le matériel et tous les lieux de tournage soient désinfectés », renchérit la même source.


Rien n’y fait : sur les réseaux sociaux, la colère gronde chez de nombreux internautes, dont certains artistes, à l’image de l’actrice Souhir Ben Amara qui écrit : « De tout cœur avec mes collègues face à cette décision abjecte et criminelle de reprendre les tournages. »


« Je ne peux que saluer la sincérité et le courage de certains artistes, techniciens, scénaristes, et autres intervenants dans l'opération dénonçant, aux dépens de leurs carrières, les risques sanitaires encourus par eux ou par leurs collègues ainsi que leurs familles et entourages, d’autant que ce n'est guère un domaine indispensable à la vie quotidienne des tunisiens », affirme pour sa part le juriste Haythem Kilani.


Quant au réalisateur Alaeddine Slim, il s’indigne : « Irresponsable / Deux poids, deux mesures. Quelques tournages de séries et feuilletons ont repris, avec l’aval des ministères de la santé et de la culture, malgré l’interdiction totale de tout rassemblement, toute sortie et toute forme de déplacement, sans raison essentielle. Comme si aujourd’hui, produire des œuvres audiovisuelles, dans leurs formes classiques, était essentiel ».


Même consternation de l’homme de théâtre Raouf Ben Yaghlane, qui y voit une volonté de contenter les puissants lobbies financiers de la publicité.


De son côté le président de la Haute autorité indépendante de la communication et de  l’audiovisuel (HAICA), Nouri Lajmi, a regretté samedi « un manque de concertation » et une décision unilatérale du département de la Culture.   


Mais outre ces élites, d’autres voix se sont élevées pour saisir l’occasion et contester l’utilité même d’un ministère de la Culture, postulant que « l’on devrait considérer d’en allouer le budget à l’effort sanitaire en cours ». Ce à quoi la ministre Chiraz Latiri a répondu en deux temps. D’abord sur les plateaux TV ce weekend, où elle a habilement articulé son argumentation autour d’un axe fort recevable, précisément celui du confinement des Tunisiens qui nécessite qu’on les occupe par du contenu culturel apte à les retenir chez eux, devant leurs écrans. Cependant la ministre va renchérir sur son profil Facebook où sa publication d’un statut a considérablement envenimé les choses :



 


Tollé sur la toile : cette prise de parole est jugée hautaine et relevant d’un certain snobisme intellectuel, celui d’une « ministre francophone » qui « traite les Tunisiens d’incultes », estiment de nombreux commentateurs.


Contrainte de présenter ses excuses, la ministre a déploré dimanche « un malentendu », espérant « un nouveau départ », tout en indiquant que les autorisations de reprise des tournages sont encore à l’étude.


Enjeu publicitaire annuel colossal pour les chaînes de télévision arabes et tunisiennes, les feuilletons du ramadan sont devenus au fil des ans des super productions, une manne vitale pour les chaînes privées notamment qui réalisent parfois la majeure partie de leur chiffre d’affaires pendant le mois saint.


C’est le cas de l’emblématique feuilleton Awled Moufida, inspiré de Sons of Anarchy, qui lors de sa saison 2016 a atteint un pic de plus de 3,5 millions de spectateurs en moyenne, (2.5 millions durant ramadan 2019) rassemblant jusqu’à 75% de l’audimat tunisien. Depuis décembre dernier, son producteur principal, Sami Fehri, croupit en prison dans une affaire de malversations, rendant incertaine la production d’une quatrième saison.


 


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