La politique en zapping estival

 La politique en zapping estival

Le leader d’Ennahda


 


Hatem M’rad


Professeur de science politique


 


Quelques points ont attiré notre attention cette semaine en pleine saison estivale, où la politique marque un certain recul.


1) Débat sur les nominations des gouverneurs et délégués


Ennahdha s’estime en droit de marchander aujourd’hui une place dans la désignation des postes clés de l’Etat, en guise de son appui au gouvernement Essid, voire de sa fidélité depuis plusieurs mois, d’autant que le parti s’est contenté d’un seul poste de ministre et de trois secrétaires d’Etat seulement dans ce gouvernement. Chose qui ne correspond pas à son influence réelle. Ennahdha commence à penser sérieusement aux municipales, qui sont prévues pour la fin 2016. L’hésitation du premier ministre Habib Essid, les déclarations musclées de Mohsen Marzouk, le bouillonnant nouveau secrétaire général du parti et homme de confiance d’Essebsi, et les rencontres feutrées tous azimuts de Ghannouchi, qui reçoit même le premier ministre chez lui à « Montplaisir », au siège d’Ennahdha, en disent long sur le jeu d’influence qui se prépare pour la désignation de nouveaux gouverneurs et délégués et même pour d’éventuels remaniements ministériels, qui restent à confirmer. Le rusé Ghannouchi agite le spectre d’autres nominations des islamistes au gouvernement, sans doute pour obtenir une part aux nominations des gouverneurs et délégués. Ou cela, ou cela. C’est du pur Ghannouchi. Il a déjà utilisé de tels procédés de négociation au Dialogue national. Et c’est de bonne guerre.


Seulement, Ennahdha a déjà nommé 25 000 fonctionnaires dans l'administration tunisienne (d'après le Journal Officiel) en trois ans, durant le règne agité de la Troïka, la plupart peu compétents, et devenus oisifs, car n’ayant pas de véritables fonctions.  Au nom de quoi veut-elle participer aujourd’hui à la désignation des délégués et gouverneurs de la République? Parce qu’ils sont associés au pouvoir ? Souvent, dans les gouvernements de coalition, on opte pour la compétence dans le choix des gouverneurs, préfets et délégués, même si les choix politiques sont aussi courants qu’admis. Mais là, dans la conjoncture tunisienne actuelle, Nida Tounès a intérêt à soutenir le principe de la compétence et du CV des personnes qui feront l’objet de nominations aux gouvernorats et délégations. Le Premier ministre Essid est décidé de placer des hommes compétents et d’expérience et issus de l’administration. C’est ce qu’il a fait jusqu’à ce jour, et il a raison sur ce point. La politisation préélectorale des postes de gouverneurs et délégués va empoisonner l’atmosphère politique actuelle et ruiner la confiance nécessaire au bon déroulement des élections. Mohsen Marzouk et Nida Tounès veulent des désignations partisanes, proportionnelles aux forces des différents partis associés au gouvernement, et ils pensent eux aussi aux municipales. Ils agitent même, en tant que parti au pouvoir, le spectre du changement de premier ministre, devenu réfractaire à leurs volontés. Le premier ministre cherche protection auprès d’Ennahdha. Ce dernier parti était, ne l’oublions pas, grandement associé à la désignation d’Essid lui-même à la présidence du gouvernement, car ils voulaient un premier ministre expert, neutre et non partisan.


Au fond, la compétence au niveau des nominations est, actuellement, la meilleure manière de limiter l'influence d’Ennahdha et de le mettre à l’écart. Question d'opportunité, pas de dogme.


 


2) Descente des ministres sur le terrain


Certains ministres du gouvernement Essid ne se contentent plus de travailler dans leurs bureaux et administrations, ils s’activent sur le terrain, font des visites, des descentes, contrôlent, sévissent même contre les défaillants. C’est le cas de Mohamed Najem Gharsalli, le ministre de l’intérieur, ancien magistrat, qui s’est avéré un véritable buldozer en cette période trouble, en courant jour et nuit d’une zone à une autre, la menace terroriste et l’état d’urgence ont renforcé ces moyens d’action. C’est le cas aussi de Néji Jelloul, l’explosif  ministre de l’Education, professeur d’histoire archéologique, bien instruit, qui ne cesse de se déplacer en cette période estivale dans beaucoup d’établissements scolaires du pays pour suivre les travaux de restauration qui s’y déroulent, en raison de leur état de délabrement. C’est le cas enfin de Saïd Aïdi, le ministre de la santé, le bien-élevé polytechnicien, qui est en train de faire la tournée des hôpitaux tunisiens, pour constater de lui-même les défaillances des hommes et des bâtiments et sévir aussitôt. Il est décidé à relever les défis d’un secteur lui aussi délabré. Et il a commencé à sévir.


Il y a, en fait, plusieurs types de ministres. Il y a les ministres qui inaugurent les chrysanthèmes, il y a ceux qui ont une conception administrative ou bureaucratique de leur mission (sous Ben Ali), il y a des ministres réformateurs (Messâadi, Charfi), il y a des ministres courants d’air, spectateurs ou passagers, il y a des ministres fondamentalement politiques (sous Bourguiba), il y a encore des ministres calculateurs ou opportunistes, il y a des ministres qui brûlent pour la Com (Karboul). On a maintenant sous le gouvernement Essid, des ministres de terrain, des meneurs de chantiers, tout comme leur premier ministre. Ils supervisent de jour comme de nuit, qui n’oublient pas au passage de se faire accompagner de leurs photographes et de faire de la Com.


Mais, ne nous laissons pas trop éblouir. Qu'un ministre ou un Premier ministre travaille, s'acharne et court les rues, surveille, contrôle, sévit, c'est sa mission, c’est son devoir. Il faut rappeler qu'on appelle les hommes politiques "des hommes d'action". Ils sont payés pour agir. Des hommes d’action qui doivent atteindre des résultats déterminés, et qui seront jugés en tant que tels. Des hommes qui tiennent aussi à leurs places, qui veulent réussir en ces temps de défis, marquer des points contre les syndicats, les fonctionnaires défaillants ou contre les terroristes. On ne les imagine pas inactifs, tout en servant les intérêts de la collectivité. Espérons que ces actions seront suivies d’effets réels. Autrement, on comprendra que l’affaire est pure Com. Tout comme les « visites inopinées » du fameux Ben Ali.


 


3) Les paradoxes de la Com


Il est quand même curieux que le ministre qui devrait faire le plus de com, Kamel Jendoubi, ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile, est celui qui n’en fait pas du tout. Il est censé communiquer surtout avec la société civile, instance avec laquelle il devrait avoir un lien permanent et télépathique. La société civile elle-même n’a pas encore compris la signification d’un tel ministère. Le ministre devrait faire un effort dans ce sens. La communication avec la société civile ne se limite pas à des communiqués télévisuels lus par lui-même ou à des réunions avec quelques associations civiles.


Ceci est d’autant plus curieux que, celui qui n’est pas censé faire de com, le cheikh Ghannouchi, l’idéologue théocrate, toujours au parfum de la volonté de dieu, en fait justement, lui, un peu trop ces jours-ci, en se baladant avec une meute de cameramen et de photographes, qui le suivent pas à pas et font des prises répétées de ses faits et gestes. Il rase sa barbe presque de près, se fait photographier pour toutes ses rencontres, porte un costume occidental à la mosquée au mois de ramadan, contrairement à ses habitudes, alors que toutes les autres personnalités arboraient une djellaba traditionnelle, on le voit encore s’entraîner et jouer au foot sur un terrain avec des jeunes, en portant short,  maillot et chaussures de foot, il assiste à un match de foot au stade de Radès. 


Ghannouchi a certainement une idée derrière la tête. Il ne fait rien sans rien. Se prépare-t-il pour les municipales en cherchant à améliorer l’image de son parti auprès des jeunes qui ne croient qu’aux miracles de la Com ? Se prépare-t-il pour le Congrès de la conversion idéologique de son parti prévu pour 2016 ? On verra.


 


Hatem M’rad