Tunisie. Pénuries : le logiciel de Carthage nécessite une mise à jour
Au moment où les pénuries alimentaires, multifactorielles, se font de plus en plus persistantes dans le pays, le président de la République Kais Saïed persiste dans la désignation invariable d’un seul et unique responsable.
En déplacement inopiné le 9 septembre dans la localité de Oujssa (gouvernorat de Bizerte), connue pour l’abondance de sa production agricole, le président Saïed s’affiche face caméra en touchant des fruits et légumes. Il palpe des tomates, des pommes de terre, puis pose devant l’appareil photo en embrassant une enfant. Le procédé est exactement le même qu’il y a plus d’un an à Tebourba, lorsqu’il s’était affiché des poires à la main, après avoir fait forcer le cadenas d’un entrepôt frigorifique suspecté de spéculation, en guise de première action choc de sa prise des pleins pouvoirs en juillet 2021.
Cette communication politique de l’effroi, de l’irruption physique à tel ou tel endroit, et des reportages photos à visée populiste digne des années 1980, résout-elle quoi que ce soit ? Pour de nombreux observateurs, cela ne fait au contraire qu’approfondir la crise en cours. « De nombreux propriétaires d’entrepôt frigorifique ont fermé boutique, de crainte de poursuites et d’intimidations de toutes sortes », nous confie un grossiste agricole commentant la flambée des prix des fruits et légumes.
« Les frigos ont une fonction régulatrice du marché. Les pénuries actuelles ne sont pas le résultat d’une raréfaction provoquée mais de raisons complexes, dont le nouveau contexte mondial qui impacte le marché mondial bien au-delà de la Tunisie. Or, les professionnels craignent la nouvelle loi où la spéculation en temps de crise est passible d’emprisonnement à perpétuité, et préfèrent changer d’activité », poursuit-il.
Un Etat en chronique cessation de paiement, dans le déni
Pour l’économiste Ezzedine Saïdane, la principale raison des pénuries actuelles qui incluent les huiles végétales, les céréales, le sucre, certains produits laitiers, des médicaments vitaux, etc. c’est bien la dégradation sans précédent de la notation souveraine de la Tunisie. « Ce statut de mauvais payeur résulte en une situation inédite où depuis plusieurs mois des embarcations maritimes une fois arrimées font demi-tour, refusant de livrer des containers faute de paiement immédiat de l’Etat tunisien », explique Saïdane qui déplore l’opacité des ministères de tutelle s’agissant de l’état des stocks de réserve, les autorités pratiquant une forme de déni optimiste destiné à l’opinion publique.
Aujourd’hui, nombreux sont les partis politiques d’opposition, mais aussi les activistes de la société civile, à interpeller la présidence de la République, seule institution détentrice réelle de l’ensemble des pouvoirs, sur sa gestion de crise incompétente, exclusivement basée sur les sempiternels narratifs complotistes, refusant de s’entourer d’experts.
Mais enfermé dans un logiciel désuet et suranné, le président persiste et signe : « Nous avons constaté des prix sans commune mesure avec ceux pratiqués dans le commerce, ce qui prouve sans l’ombre d’un doute que les circuits de distribution sont les responsables », peut-on lire sur la page officielle de la présidence de la République qui, obstinée, pétrie de puritanisme moral rigide et inquisiteur, semble ne pas saisir la notion même de profit et les divers intervenants de la chaîne marchande.
« Le pays est à la dérive… Le charlatanisme aux commandes de l’Etat actuel menace désormais la paix sociale : tous les ingrédients d’une famine sont rassemblés, et l’on nous propose pour seule solution d’aller au clash entre classes sociales », déplore l’opposant Ghazi Chaouachi, pour qui la désignation d’un ennemi imaginaire qui chercherait à saper la Nouvelle République saïdienne, n’a que trop duré.
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