Nouvelle communication présidentielle: rupture ou orthodoxie?

 Nouvelle communication présidentielle: rupture ou orthodoxie?

Kairouan – Remise des prix aux lauréats du prix du président de la République pour la lecture et la récitation des Hadiths du Prophète


Eu égard à la radicalité pro révolutionnaire des premières prises de parole de Kais Saïed président, on pouvait s’attendre à un chamboulement dans les modes de communication du Palais de Carthage. Qu’en est-il dans les faits ?


Au terme de deux semaines d’exercice du pouvoir, Kais Saïed a rencontré près d’une cinquantaine de personnalités, chefs de partis et de blocs parlementaires, figures publiques, etc. Une phase sans doute pensée pour assoir et affirmer une forme d’autorité bienveillante, lui le président encore relativement méconnu du grand public et de la classe politique, soucieux de responsabiliser le plus grand nombre de décideurs, en tête-à-tête.


Mais, première déception pour les Saïedistes invétérés : presque rien n’a changé sur le plan de la forme du moins. Même « trône » imposant, depuis l’ère Ben Ali, aussi central que distant des invités, même petite musique des réalisations vidéo officielles depuis le mandat de Béji Caïd Essebsi couvrant les conversations muettes avec les hôtes, mêmes cortèges gigantesques gênant la circulation en ville, et même limousine aux dimensions extravagantes, une Maybach reçue par la présidence en guise d’offrande en marge du dernier Sommet arabe à Tunis.


Encore plus surprenant peut-être, venant de Kais Saïed qui depuis 2011 encense « la jeunesse révolutionnaire » et « la révolution des jeunes » dès qu’il en a l’occasion, le noyau dur de ses nominations de cabinet est quasi exclusivement constitué de sexagénaires rappelés de leur retraite : de Abderraouf Bettbaieb, au général Salah Hamdi, en passant par l’ancienne journaliste Rachida Ennaifer, hormis la juriste Nadia Akacha. Une incohérence qui a conduit certains éditorialistes à titrer « Kais Saïed, le président des jeunes s’entoure de vieux ».


Saïed le constitutionnaliste connaissant par cœur les prérogatives de la fonction, qui aime à réciter les articles de la Constitution de 2014, serait-il ainsi obnubilé par cette institution qu’il n’y a finalement rien changé, ou si peu, au risque de contraster avec l’image de piété du candidat qu’il fut ?


 



 


Premiers signes annonciateurs de rupture


La première lueur d’espoir, pour les plus radicaux des électeurs de Kais Saïed, est venue il y a quelques jours du hall de réception du Palais de Carthage : depuis le 5 novembre, le traditionnel cadrage vidéo des déclarations des invités à l’issue de leurs visites consistait en portrait iconique de Bourguiba jeune les surplombant, ainsi qu’un buste de Hannibal à leur droite. Exit ces deux symboles de « l’Etat national tunisien » : désormais c’est un fond neutre, une simple porte, qui servira de background aux remerciements et allocutions d’usage.


Si la manœuvre est aussi courageuse qu’habile, elle n’a pas manqué de soulever un tollé dans le camp dit progressiste. Les mêmes voix s’étaient indignées du fait que le nom de Bourguiba ait été absent de l'allocution d'investiture de Kais Saïed au Parlement, sorte de crime de lèse-majesté !


Mais ce réflexe ne découle-t-il pas au fond lui-même d'un mode de pensée conservateur et réactionnaire ? Dans la mesure où « la réaction désigne une doctrine prônant un retour à une situation passée réelle ou fictive, révoquant une série de changements sociaux, moraux, économiques et politiques », ne peut-on pas parler de "réactionnisme" pour qualifier ce réflexe des nostalgiques offusqués par le sacrilège de la non mention d’une icône ?


Quel que soit le degré de modernité de la figure sacrée dont on s’émeut de la non mention, au nom du modernisme et du respect de l’Etat tunisien moderne dont Bourguiba fut certes le père, la question mérite d’être posée.


Vendredi 8 novembre, lors des célébrations du Mouled à Kairouan, Kais Saïed a conforté son statut de président davantage porté sur la rupture que sur l’orthodoxie formelle, en étant le seul haut dignitaire de l’Etat à ne pas porter l’habit traditionnel tunisien, la jebba, contrairement à tous ses prédécesseurs. Si certains non identitaires jubilent, d’autres attendent toujours plus d’audace encore de la part du plus atypique des présidents tunisiens post indépendance.     


 


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