Nidaa Tounes peut-il encore éviter l’implosion ?
Rien ne va plus à Nidaa Tounes. Cette fois ce n’est pas un euphémisme : il y aura un avant et un après réunion de Hammamet, un épisode qui a enregistré des niveaux inédits de violence fratricide et de déchéance éthique et politique. Au moment où le secrétaire général du parti, Mohsen Marzouk, est directement accusé de fomenter un coup d’Etat par l’un des cadres du parti, c’est Ennahdha qui vole au secours du parti mardi. Un point de non-retour a cependant probablement été atteint.
« Marzouk a montré les dents aujourd’hui après sa récente visite aux États-Unis. Ses ambitions visent désormais directement la destitution du président de la République Béji Caïd Essebsi, et les institutions de la présidence qu’il entend déstabiliser ». C’est par cette accusation que le député ex CPR devenu Nidaa Tounes, Abdelaziz Kotti, a entamé une intervention sur une radio nationale lundi. La gravité du propos illustre la débâcle à laquelle est arrivé le parti.
Nul ne saurait aujourd’hui affirmer qui du bureau exécutif, du bureau politique ou de l’instance constitutive, tous non élus et créés sur simple désignation, dirige vraiment le parti. Seul enseignement depuis la réunion de la dissidence de Djerba en octobre dernier : le bureau exécutif semble avoir définitivement perdu la main au profit d’une droite dure, débordé par l’aile contrôlée par Hafedh Caïd Essebsi, et derrière lui des lobbies de l’ex RCD non hostiles à un partage du pouvoir avec Ennahdha.
En visite à Carthage mardi, Rached Ghannouchi a gratifié de son « total soutien » le gouvernement et à la présidence de la République…
« Nidaa Tounes, c’est terminé ! »
Dominant avec Lazhar Akremi l’aile minoritaire des fondateurs du parti, Mohsen Marzouk dispose du soutien d’une trentaine d’élus, dont des modernistes et des féministes « high profile ». Après avoir décliné l’inconstitutionnelle offre de médiation du président de la République, le groupe a réitéré mardi son souhait de quitter le bloc parlementaire Nidaa Tounes et de créer un nouveau parti. Mathématiquement, l’opération redonnerait à Ennahdha de facto la majorité, avec plus d’une vingtaine de sièges d’avance…
Une situation d’exposition dont ne veut pas nécessairement le parti islamiste, contrairement à son homologue turque qui enfonçait le clou ce weekend.
Ce séisme politique, moins d’une année après la victoire qualifiée à l’époque de confortable du parti que l’on aime à qualifier de « séculier » en Occident, est symptomatique du déficit de substance de Nidaa Tounes, que des déçus décrivent de « camaraderie » gangrénée par la cupidité et le népotisme.
Dans cette fuite en avant destructrice que beaucoup d’analystes avaient prédite en l’absence de congrès, le silence de Béji Caïd Essebsi étonne s’agissant du rôle dont son propre fils s’est progressivement emparé. De son côté, Mohsen Marzouk, en difficulté, a fait ce qu’il a toujours su faire : homme des relais internationaux, après une carrière entre autres étapes à Freedom House et au Qatar, son tour américain pour se regagner en légitimité ne suffira vraisemblablement pas à assurer son sauvetage politique en interne.
Entre temps, les conséquences de cette crise existentielle sur l’Etat tunisien sont potentiellement dévastatrices : déjà sans ministre de la Justice, avec un ministre du Développement dont on dit la démission imminente, et en proie au blocage des négociations sociales, le gouvernement Essid pourrait céder sous la pression avant même que Nidaa ne se désintègre. Des élections anticipées deviendraient alors inéluctables.
S.S