Tunisie. Najla Bouden remplacée par Ahmed Hachani à la tête du gouvernement : les dessous d’un choix controversé
Même s’il était attendu, le départ de la cheffe du gouvernement Najla Bouden au profit d’un homme tout aussi anonyme au moment de sa nomination n’en demeure pas moins un mini séisme dans la vie politique tunisienne déjà en crise depuis le coup de force du président Saïed il y a deux ans.
Cette nomination revêt d’emblée plusieurs aspects problématiques, à commencer par la forme : tard dans la nuit, une bizarrerie horaire qui ne surprend plus s’agissant du très nocturne président de la République, c’est par un laconique communiqué d’une phrase que la chose est annoncée à minuit.
Plusieurs incongruités formelles
Après deux années de mission aussi servile que muette, Najla Bouden est d’abord limogée sans ménagement, de la plus humiliante des façons qui soit. L’usage, le protocole, mais aussi la bienséance auraient requis qu’elle soit au minimum reçue au Palais de Carthage, sinon décorée pour ses loyaux services, en dépit d’un bilan certes calamiteux. Au lieu de cela il est « mis fin à ses fonctions », congédiée le même jour où elle présidait encore un important conseil ministériel consacré à la réforme du code des changes, et remplacée illico.
Ce n’est pas la première fois que Kais Saïed jette à l’opprobre publique l’un de ses plus proches collaborateurs. En réalité la liste est tellement longue que cette fièvre des limogeages brutaux est devenue un modus operandi, nul ne trouvant grâce aux yeux du chef de l’Etat, quand bien même il se serait démené dans sa tâche. D’aucuns expliquent cette violence procédurale par la paranoïa présidentielle qui tend à voir des trahisons et des complots à tous les étages, le plus souvent en l’absence de preuves concrètes.
Il y a ensuite la nomination d’un énième illustre inconnu. Dans l’opinion publique tunisienne, nul ne connaît en effet Ahmed Hachani, discrète figure du sérail administratif et universitaire. Juriste diplômé de la Faculté de droit et des sciences économiques de Tunis en 1983, il semble que c’est une fois de plus dans ces étroits cercles des campus de droit que l’ancien assistant universitaire Kais Saïed ait connu Ahmed Hachani, à l’instar d’une grande partie de ses nominations passées pourtant pas toujours réussies y compris à son propre cabinet. C’est en soi un aveu supplémentaire des limites du réseau relationnel de Saïed, lui-même sans passé politique avant 2019.
Est-il enfin acceptable qu’un chef de gouvernement soit nommé sans qu’il ne fasse la moindre déclaration publique ou que l’on entende ne serait-ce que le son de sa voix ? Dans la Tunisie de Kais Saïed, les Tunisiens s’y sont visiblement résignés.
Un curriculum vitae limité
Le parcours professionnel de Hachani comprend par ailleurs un passage à la Banque centrale de Tunisie en tant que directeur général des ressources humaines de la BCT, avant de partir à la retraite. Est-ce suffisant en guise d’expertise financière pour motiver le choix de l’installer au Palais de la Kasbah en pleine crise économique sans précédent ? Rien n’est moins sûr.
Il est le fils de Salah Hachani, commandant de la cargaison de Gafsa menée par Lazhar Chraïti, qui fut condamné à mort et exécuté pour son implication dans un coup d’Etat manqué contre le président Habib Bourguiba en 1962. C’est sans doute cet aspect de la vie d’Ahmed Hachani qui a attiré l’attention de Kais Saïed dont on sait qu’il partage la même hostilité à l’égard de l’ancien régime tunisien. La famille Hachani a ainsi connu les affres de l’ostracisme jusque dans les années 90 où d’après des témoignages elle fut exclue de la fonction publique.
Sur son profil LinkedIn, Ahmed Hachani se présente comme un « fervent défenseur de la laïcité de l’État, de la démocratie et de l’égalité des droits entre femmes et hommes ». On sait également que sa mère est de nationalité française.
« L’internet n’oublie jamais » étant l’un des dictons de l’ère numérique, des internautes ont déniché dès hier soir quelques statuts hauts en couleurs du nouveau chef du gouvernement, avant qu’il ne les rende privés. Parmi eux, un statut à charge en 2019 contre le président Kais Saïed le qualifiant de « calife » et de « candidat dangereux pour la Tunisie »…
Charles de Gaulle disait que la qualité d’un leader politique se mesure à ses choix de nominations. A force d’opter pour des profils marginaux à des postes clés de l’exécutif, le président Saïed hypothèque l’avenir du pays : il préfère manifestement les défauts de l’anonymat à l’angoisse inhérente au risque de rébellions, généralement conduites par des profils autrement plus charismatiques.