Lutte anti corruption : le gouvernement Chahed entre détermination et incohérence
« Face à l’amplification du phénomène de la corruption, le gouvernement et les appareils de l’Etat ne peuvent pas regagner la confiance des citoyens », assure le fraîchement investi ministre de la Justice Ghazi Jeribi, ancien président du Tribunal administratif. D'après lui, « on ne peut pas parler non plus de développement et d’investissement en l’absence d’un système de lutte contre la corruption ».
« On ne peut pas parler non plus de développement et d’investissement en l’absence d’un système de lutte contre la corruption », a-t-il estimé en marge de la 5ème conférence annuelle du réseau arabe pour l’intégrité et la lutte contre la corruption (ACINET), une initiative qui tente d’instaurer une tradition encore récente dans la région MENA.
La 5ème conférence du Réseau arabe pour l’intégrité et la lutte contre la corruption a planché trois jours durant sur les moyens de consacrer le principe de « redevabilité » (« accountability »), nécessaire à un développement durable. De plus en plus de ministres et responsables occidentaux, européens et américains, prennent également part à cette manifestation organisée à l’initiative du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en collaboration avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
Au deuxième jour de cette conférence dont les travaux ont été clôturés le 7 septembre, Jeribi a jugé indispensable d’appliquer les principes de reddition des comptes et de punition « contre toute personne dont l’implication est prouvée dans des affaires de corruption ».
Face à l’évolution des formes de corruption, l’homme a plaidé en faveur de l’amélioration des mécanismes de lutte contre ce phénomène qui, a-t-il dit, « ne doivent aucunement être détenus en monopole par une seule partie ».
Probablement une allusion au fait que le gouvernement auquel il appartient a décidé conformément au souhait de Youssef Chahed de supprimer l’éphémère ministère de lutte contre la corruption, une façon de reconnaître l’autorité de régulation indépendante qu’est l’Instance constitutionnelle prévue à cet effet, mais aussi l’Instance Vérité & Dignité qui s’attèle à l’investigation et l’arbitrage des dossiers d’avant 2014.
Faites ce que je dis mais pas ce que je fais ?
« Les nouvelles législations et les institutions de lutte contre la corruption ne peuvent à elles seules venir à bout de la corruption », a-t-il ajouté, mettant l’accent à ce propos sur la nécessité d’instaurer une culture de lutte contre la corruption et de choisir le profil adéquat pour chaque poste, « loin de toute forme de régionalisme ou d'allégeances partisanes ».
Là aussi on pouvait lire en filigrane dans cette tirade une allusion au bras de fer que l’on dit intense entre les élites économiques tunisoises et celles dites du Sahel, ces dernières s’estimant lésées par la composition de l’actuel gouvernement.
Problème, à l’issue de la session parlementaire extraordinaire dont la tenue répond à une demande des blocs Nidaa Tounes et Ennahdha, l’Assemblée va devoir examiner en commission, une fois de plus, le projet de loi de réconciliation économique amendé.
Le texte de cette initiative présidentielle qui tente toujours un passage en force contre l’avis de l’opinion nationale, et plus récemment de l’opinion internationale, consacre en effet une forme d’amnistie au bénéfice des auteurs de crimes et délits financiers de l’ex régime, dont certains ont repris du service ces dernières années. Les prochaines semaines seront décisives pour comprendre comment le gouvernement Chahed compte s’y prendre pour résoudre cette contradiction manifeste entre le discours rhétorique et les actes législatifs.
S.S