Tunisie. L’UE lève le gel des avoirs du clan Ben Ali
C’est un camouflet supplémentaire pour l’actuel pouvoir tunisien dans l’épineux dossier de la restitution des avoirs des proches de l’ancien président Ben Ali.
Nous l’expliquions dès la fin septembre 2022 : L’Union européenne étudiait alors déjà un projet de révision des sanctions financières à l’encontre de plusieurs membres « high profile » de la famille de l’ancien dictateur déchu Zinelabidine Ben Ali. Cela n’a pas traîné, malgré la complexité des modalités et des étapes de ce processus de rétropédalage.
Le Conseil de l’UE a ainsi décidé de lever le gel sur les avoirs de sept membres de la famille de l’ancien président de la République Zine el Abidine Ben Ali (neveux, gendres, cousins par alliance, etc.), et certains de ses proches, en attendant « une prochaine liste similaire » qui devrait suivre, apprend-on de source en contact avec la défense.
La décision d’exécution a été publiée le soir du 28 octobre 2022. Elle comprend une liste des personnes et « entités » concernées par la levée du gel en vigueur depuis le 4 février 2011. Une victoire posthume pour l’ancien dictateur (décédé en septembre 2019 en Arabie saoudite), dont les proches obtiennent donc gain de cause près de 12 années plus tard.
>> Lire aussi : Tunisie : L’Union européenne demande la reprise de l’activité parlementaire
Publiés par le Journal officiel de l’Union européenne vendredi soir, les noms comprennent ceux de de Mohamed Trabelsi, Kais Ben Ali, Hamda Ben Ali, Najmeddine Ben Ali, Najet Ben Ali, Imed et Naoufel Letaïef.
Le Conseil a par ailleurs décidé de « supprimer les mentions qui leur sont relatives » auprès des institutions bancaires concernées, ainsi que « les informations relatives aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective les concernant ».
Un revers politique pour Carthage
En recevant le 13 juillet dernier sa Première ministre Najla Bouden, le président de la République Kais Saïed réitérait le fait qu’il faisait de la restitution des biens spoliés et mal acquis « d’avant et après révolution de 2011 » une priorité absolue et une affaire personnelle. C’est du moins ce qu’il n’a cessé de promettre dans ses discours depuis son coup de force institutionnel une année auparavant.
Ce jour-là, il soulevait la question de « l’accélération de la mise en œuvre de toutes les mesures nécessaires en ce sens », y compris diplomatiques, et ce suite à la promulgation d’un décret présidentiel concernant les fonds expatriés, « qui sont la propriété du peuple tunisien », martèle-t-il. Il donnait aussi ses instructions invitant la commission ad-hoc au Palais, chargée du dossier de restitution des fonds spoliés à l’étranger à être « convoquée dans les plus brefs délais ». Depuis, plus aucune mention ne fut faite au sujet du bilan de cette commission, en dehors des slogans et autres déclarations d’intention.
S’inscrivant dans la rhétorique saïdiste, selon laquelle la Tunisie dispose de suffisamment de richesses et de ressources pour subvenir à ses besoins et ses aspirations de prospérité, si ce n’était la corruption et le vol des élites, le volet des avoirs du clan Ben Ali est néanmoins passé au second plan des préoccupations de l’actuel pouvoir. Un exécutif davantage focalisé sur les règlements de compte judiciaires avec le pouvoir post 2011 et l’enrichissement présumé de ses représentants.
Pour le leader de l’extrême gauche nationaliste alliée du président Saïed, Mongi Rahoui, également ex chef de la Commission des finances de l’ancien Parlement dissout, « cela fait des années que la gestion de ce dossier par l’État tunisien est calamiteuse et manquant de sérieux » déplore-t-il. « L’État a traité ce dossier comme une procédure administrative bureaucratique comme si elle était sans lien avec la récupération impérative de l’argent du peuple qui a été pillé, et tous les gouvernements qui se sont succédés jusqu’ici ont fermé les yeux sur ce dossier », ajoute-t-il dans une déclaration hier dimanche 30 octobre.
« Les fonds tunisiens gelés et situés à l’étranger sont colossaux… les récupérer c’est faire en sorte que la Tunisie n’ait plus besoin du Fonds monétaire international, puisque l’on parle d’environ 15 milliards », conclut-il (contre 6 milliards empruntés récemment).
Indignation de la société civile
Pour l’ONG de vigilance I-Watch, « la décision de lever le gel n’est pas seulement un nouvel échec de la diplomatie tunisienne mais un effondrement de la rhétorique populiste et mensongère du président Kais Saïed », assène l’organisation relevant de Transparency international. « Ce dernier a toujours affirmé son souci de récupérer les fonds spoliés, mais sans aucun recours diplomatique ou procédural, ni de quelconques efforts à la hauteur des aspirations du peuple ces dix dernières années de se voir restituer son dû », poursuit un communiqué à charge.
I-Watch ajoute que « malgré la décision du président de la République de former il y a environ deux ans un comité de récupération des fonds spoliés, présidé personnellement par le ministre des Affaires étrangères, ce comité ne s’est pas réuni et n’a publié aucun rapport sur ses activités, alors que le décret relatif à sa création stipule que « le comité lève tous les trois mois un rapport au président de la République sur ses activités et lui soumet ses travaux », mais cela n’est resté qu’une fausse promesse à l’image du reste des promesses faites par le président de la République il y a maintenant plus de trois ans ».
A l’approche des élections législatives du 17 décembre, l’aggravation de la crise économique ajoute au désintérêt des Tunisiens quant à la chose politique. Au point que certaines circonscriptions de l’étranger n’ont enregistré aucun candidat, tandis que certaines régions comme Monastir n’en ont enregistré qu’un seul candidat capable de réunir les parrainages requis, automatiquement assuré de remporter la victoire. Une situation qui a nécessité de prolonger la période de dépôt de candidatures de trois jours.