Loup solitaire ou accès de folie ? L’énigme du tireur de Bouchoucha
24 heures après la tuerie de la caserne de Bouchoucha qui a fait huit morts dont l’auteur de l’attaque, les spéculations vont bon train sur la toile autour des possibles motivations du tueur, le sergent Mehdi Joumîi (38 ans). Tard dans la nuit du lundi au mardi 26 mai, une longue revendication écrite, selon le format habituel de l’Etat Islamique, est venue jeter le trouble sur un acte d’une violence sans précédent à l’intérieur d’une installation militaire.
Six mois auparavant, un soldat décapitait son collègue dans une caserne de Zaârour, à Manzel Bourguiba (Bizerte). Dans les deux cas, les autorités parlent de crime de droit commun isolé. En l’occurrence, le porte-parole du ministère de la Défense a rapidement avancé la thèse du crime passionnel indirect, en faisant état des « problèmes familiaux et psychologiques » de l’auteur du carnage.
Corrélation de mobiles ?
Originaire de région défavorisée de Tebourba (30km de Tunis) où il habitait seul, le soldat vivait en effet un divorce difficile, après le décès de ses deux parents. Selon ses proches, il a été privé de la garde de sa fille ces deux dernières années par son ex-femme qui est aussi une soldat enrôlée dans l’armée nationale. Il a en outre passé 15 jours de prison pour non-paiement de la pension alimentaire, et dû vendre son modeste véhicule utilitaire pour s’acquitter d’arriérés de pension s’élevant à 4 mille dinars.
Un comportement erratique aurait conduit sa hiérarchie à le muter du siège du ministère de la Défense à la caserne de Bab Saâdoune, puis Bouchoucha où il a été privé de port d’arme et affecté à une division « non sensible », en prévision d'une nouvelle affectation à Kasserine. D’après certains récits, il avait alors formellement exprimé son souhait de quitter l’armée.
Outre la revendication de Daech, plusieurs médias et blogs font état aujourd’hui de rumeurs d’appartenance plus ou moins avouée à une mouvance radicale. Mais selon son voisinage à Tebourba, l’homme était certes pratiquant, faisait régulièrement la prière dans la mosquée du quartier, mais ne présentait pas de signes de radicalisation particuliers.
Notons l’évolution sensible des médias mainstream dans le traitement d’évènements de ce type, y compris la télévision nationale qui préfère parler désormais de « version officielle » dans le JT de 20h, ce qui est en soi le signe d’une distanciation inédite, au moment où tout pouvoir pourrait être tenté d’occulter des données à l’approche d’une saison touristique cruciale.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, silence radio du côté de la présidence de la République qui a maintenu toutes ses activités ordinaires les 25 et 26 mai, en recevant une délégation des Femmes démocrates et en tenant une conférence de bilan de la visite de Béji Caïd Essebsi aux Etats-Unis. Critiqué pour cette absence de réaction, le chef suprême des forces armées n’a pas encore décrété de deuil national.
Le 25 mai, un tabou tombait en Arabie Saoudite où des officiers de la Garde nationale saoudienne ont publié des photos faisant allusion à leur rang et à leur allégeance à l’Etat Islamique, ce qui n’est pas pour apaiser les doutes sur cette éventualité de l’« ennemi intérieur ».
Frustration professionnelle, conséquence du divorce de masse ou extrémisme religieux, l’acte du tireur de Bouchoucha restera probablement non élucidé, même s’il est vraisemblable qu’il ait résulté d’une conjonction de plusieurs facteurs ayant précipité un passage à l’acte.
Seif Soudani