Tunisie. Loi de finances 2023 : quelles conséquences concrètes pour le contribuable ?

 Tunisie. Loi de finances 2023 : quelles conséquences concrètes pour le contribuable ?

Promulguée unilatéralement par le président Saïed, la loi de finances 2023, non discutée au Parlement pour la deuxième année consécutive, prévoit un déficit de près de 7,5 milliards de dinars tunisiens. Les dépenses du budget de l’Etat se situeront ainsi au niveau de 54 milliards de dinars, tandis que les recettes ne dépasseraient pas les 46,4 milliards de dinars.

Ce sont là des estimations qui reposent sur un certain nombre d’hypothèses, dont une croissance économique de 1,8%, et l’augmentation significative attendue des recettes fiscales, des recettes non fiscales respectivement de 12,5 et 15,7%.

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L’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés passe à 8,5 et 8,7%, respectivement, outre la hausse attendue du droit à la consommation, de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et des droits de douane respectivement de 16,5, 12,5 et 11%.

Quant aux dépenses, Il est prévu que les salaires atteindront 22.771 millions de dinars en 2023, soit 14% du PIB, contre 21.832 millions et 15,1% du PIB estimés par la loi de finances rectificative pour l’année 2022, une concession dictée notamment par les exigences du FMI.

 

Une politique fiscale inspirée de modèles occidentaux, sans le confort de vie

La pression fiscale pour l’année 2023 se stabilisera donc à 25% du PIB, contre 24,9 % en 2022. Un taux certes relativement stable, mais qui se rapproche des moyennes occidentales si l’on s’en réfère aux nouvelles données de l’OCDE qui figurent dans les statistiques des recettes publiques 2022. Celles-ci montrent qu’en moyenne les recettes fiscales exprimées en pourcentage du PIB (c’est-à-dire le ratio impôts/PIB) étaient de 34.1 % en 2021, légèrement en hausse elles aussi.

Sauf que nombre d’économistes et de contribuables tunisiens notent que l’infrastructure tout comme la qualité des services dans nos contrées sont loin d’atteindre celles des pays de la zone OCDE, si l’on tient compte de notre ratio de 25% de la pression fiscale en pourcentage du PIB.

Outre un nouvel impôt de 0,5% à appliquer sur les biens immobiliers dont la valeur dépasse les 3 millions de dinars et qui s’apparente à un impôt sur la fortune qui ne dit pas son nom, l’autre mesure phare de cette loi est une amende infligée pour tout paiement en espèces d’un montant équivalent ou dépassant les 5 mille dinars (l’amende s’élève à 20% du montant payé). Là aussi, au nom de la lutte contre le secteur informel et la contrebande, on criminalise l’argent liquide en tentant manifestement de plagier certains modèles de pays où le système bancaire est autrement plus moderne et connecté, et où le paiement par NFC omniprésent tend à supplanter le paiement cash.

Plutôt que de nous atteler davantage aux détails techniques de la loi de finances 2023 (téléchargeable ici), nous avons opté pour un exemple concret puisé dans le quotidien d’un contribuable tunisien, un texte du docteur Hatem Elghazel que nous traduisons ici au français.

« Mahmoud est un bon citoyen qui a réussi dans ses études et a obtenu son diplôme d’ingénieur à l’âge de 23 ans. Il fut l’incarnation de l’élève puis de l’étudiant assidu. Après 4 années de chômage (le taux de chômage des diplômés du supérieur a augmenté à 24.3 % au troisième trimestre 2022 en Tunisie, 32.0 % chez les femmes, ndlr), il a commencé à travailler dans une entreprise privée à l’âge de 27 ans. On lui explique alors qu’il est un sacré veinard, puisque l’entreprise lui offre un salaire brut mensuel de 1400 dinars par mois, soit un peu plus que la moyenne s’agissant du salaire médian d’un cadre débutant dans le pays.

Mahmoud fait l‘objet d’une retenue fiscale à la source de 28%, soit 392 dinars, 160 dinars pour la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Il lui reste alors en réalité 848 dinars.

Sauf que ces 848 dinars, ce n’est pas la somme qui lui reste pour les courses mensuelles, cette somme étant amputée, soumise à une TVA reversée à l’Etat au taux de 19%, soit 161 dinars. Jusqu’à présent, l’État lui a donc pris 713 dinars au total sur ses 1400 dinars mensuels.

Il a par ailleurs un petit véhicule ancien sur lequel il doit s’acquitter d’une vignette (taxe sur la circulation), 120 dinars par an, soit 10 dinars par mois, auxquels s’ajoutent 10 dinars pour les services municipaux et les taxes foncières mais aussi les coûts périodiques du contrôle technique. Mahmoud prend aussi l’autoroute pour Tunis une ou deux fois par mois, soit encore une dizaine de dinars de péages. Depuis 2022, il paye aussi 100 millimes pour chaque passage en caisse dans les grandes surfaces, et 1 dinar sur chaque facture, tout comme sur sa carte téléphonique… Sur les 743 dinars, il n’en reste donc que 657 dinars réels par mois, après ce qu’a ponctionné l’Etat à ce stade.

Mais venons-en aux choses sérieuses. Comme tout le monde, Mahmoud a voulu s’acheter une nouvelle voiture. Il a sollicité la STB, une banque du secteur public. C’est là qu’on lui annonce que s’il parvient à réunir un apport initial d’auto-financement à hauteur de 10 mille dinars, on pourrait lui accorder un prêt de 30 mille dinars. Il va alors prier ses parents de lui fournir 10 mille dinars d’économies familiales. Il obtient les 30 mille dinars de prêt, soit 42 mille dinars à rembourser sur 7 ans, et donc 12 mille dinars d’intérêts dans les caisses de l’Etat : l’équivalent de 18 mois de salaires après imposition.

Le nouveau véhicule en question, c’est une voiture compacte d’entrée de gamme, dont le coût réel est de 28 mille dinars, auxquels s’ajoutent les taxes et frais de douane qui équivalent à un an et demi de travail supplémentaire au service de l’Etat. Nous ne comptons pas ici les frais de carte grise et d’immatriculation.

Mahmoud veut se marier, et a par conséquent dû contracter un autre crédit à la consommation : 5 mille dinars, soit 7,5 mille dinars à rembourser, 4 mois de salaire de plus. Vient par la suite le prêt pour l’acquisition d’un appartement dans un modeste quartier populaire : 180 mille dinars au bas mot. Pour ce faire, il a vendu sa part dans un héritage immobilier : 50 mille dinars, auxquels s’ajoutent 130 mille dinars de prêt sur 15 ans, qui deviennent 220 mille dinars après intérêts. Ajoutons-y près de 10 mille dinars de frais d’enregistrement foncier et 2 mille dinars d’assurance. Pour simplifier, c’est là le fruit de 12 années de travail qui reviennent à l’Etat : 100 mille dinars en intérêts et impôts divers.

Le stress et la charge mentale résultent en une maladie chronique qui cloue Mahmoud au lit après 14 années de bons et loyaux services. On lui apprend alors à l’hôpital public que le premier rendez-vous dispo est dans 6 mois, que le scanner est en panne, il doit faire ses analyses puis ses soins dans une clinique privée, et la plupart des médicaments sont en pénurie.

Avec deux enfants à charge, inscrits dans une école privée, il n’a pas de quoi subvenir à ces frais inattendus et doit vendre sa voiture. Mais entre temps son employeur le licencie. Cela l’achève. Mahmoud décède. 150 dinars de frais pour les pompes funèbres, puis de frais de succession pour son épouse. Cette dernière demande à bénéficier de la couverture sociale héritée de son mari, mais il manque 6 mois de cotisations pour bénéficier d’une prise en charge complète ».

Ce constat est peut-être quelque peu caricatural, mais il n’est pas si éloigné des réalités du contribuable tunisien moyen en 2023, où la « upper middle class » n’est plus qu’une vue de l’esprit.