Tunisie. L’insurmontable tâche du gouvernement Hachani
Au lendemain de sa nomination surprise, on en sait davantage sur le parcours et la vie personnelle du nouveau chef du gouvernement tunisien, Ahmed Hachani.
Probablement pris de remords ou conseillé par son entourage de rectifier le tir, le président de la République Kais Saïed a présidé hier 2 août une cérémonie de passation des pouvoirs entre Ahmed Hachani et Najla Bouden qu’il avait brutalement limogée la veille.
Mais hormis les fleurs qu’il lui a remises et les amabilités d’usage échangées avec Bouden, Saïed aura accaparé la parole plus de vingt minutes lors de cette cérémonie qui s’est transformée en monologue prescriptif en direction du nouveau locataire de la Kasbah. Résultat, les médias n’en savaient pas plus sur le CV du nouveau chef de gouvernement, contraints d’aller chercher l’info via d’autres canaux que ceux d’un Etat qui ne daigne pas présenter à l’opinion le certes très théorique nouveau numéro 2 de l’exécutif.
Un fervent monarchiste à la retraite
Né le 11 juillet 1957, à Tunis, il est le fils de la Bretonne Thérèse Le Gall, mère de six enfants, et de Salah Hachani, officier de l’armée tunisienne exécuté en 1963 pour sa participation au complot contre Habib Bourguiba en 1962. En conséquence, la famille Hachani est exclue de la fonction publique jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Zine el-Abidine Ben Ali. Ahmed Hachani obtient son baccalauréat au lycée Alaoui à Tunis. Il poursuit par la suite ses études supérieures au sein de la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, dans laquelle il obtient une licence en droit puis une maîtrise en droit public en 1983. Il est par ailleurs francophone et francophile, « passionné de musique française » peut-on lire sur ses réseaux sociaux.
« Tout le monde peut constater en visionnant sa prestation de serment qu’Ahmed Hachani n’a visiblement pas une bonne maîtrise de la langue arabe, ni littéraire, ni dialectal. Or, cela est un aspect important des compétences requises par un chef du gouvernement censé expliciter les politiques publiques aux citoyens », déplore l’activiste politique Adnane Belhajamor. A cet égard le président Saïed commet le même impair que dans sa sélection de Najla Bouden, littéralement incapable de lire un texte en langue arabe, quoique d’aucuns arguent que le président de la République recherche précisément des profils d’exécutants muets.
Ahmed Hachani a par ailleurs intégré en 1986 la Banque centrale de Tunisie en tant que juriste. Il est promu, en 2011, au poste de directeur général des ressources humaines. Il enseigne en parallèle le droit à l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers. Hachani prend sa retraite professionnelle en 2018. A 66 ans, son âge relativement avancé est un autre handicap pour de nombreux observateurs qui n’ont pas manqué de noter la démarche lente et empruntée du bientôt septuagénaire. « On aurait pu penser que le président se ferait seconder par un jeune responsable, lui qui évoque à longueur de journée « la révolution des jeunes Tunisiens », au moment où le pays nécessite dynamisme et vitalité dans la gestion de ses crises multiples », écrit un internaute.
Hors circuit depuis 5 ans, et connaissant peu les rouages de l’administration tunisienne hormis ceux, étroits, des ressources humaines de la BCT, tout laisse à penser que de longs mois seront nécessaires à Hachani pour se familiariser avec les dossiers brûlants qui l’attendent.
Davantage Premier ministre que chef de gouvernement à proprement parler en vertu de la nouvelle Constitution de 2022, il sera certes un simple coordinateur de l’action gouvernementale, amputé y compris de la prérogative de choisir sa propre équipe ministérielle. Ce point fait d’ailleurs à ce jour l’objet d’une grande incertitude : nul ne sait en effet si l’intégralité du gouvernement tombera avec Najla Bouden. La Constitution dispose dans son article 101 que le « Le président de la République nomme le chef du gouvernement, ainsi que les autres membres du gouvernement, sur proposition de son chef ».
Admirateur de la Tunisie beylicale, Hachani s’est exprimé sur son compte Facebook avant sa suppression dans la journée d’hier « en faveur de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle », arguant notamment que cela « éviterait au pays de tomber dans une dictature présidentielle ou parlementaire, et que cela permettrait de se débarrasser du tribalisme et du populisme ».
Une fervente défense de la monarchie beylicale – abolie par Habib Bourguiba en 1957 – qui explique peut-être en partie ses propos confus, à charge contre ce qu’il appelle « les ultra féministes », puisqu’il prône « une équité » qu’il oppose à l’égalité telle que prônée par Bourguiba.
Mais ces considérations sociétales auront sans doute peu d’impact, comparées aux défis sociaux qui attendent Hachani, au moment où les négociations avec le Fonds monétaire international sont à l’arrêt, et où les Tunisiens manquent de pain et de toutes sortes de denrées alimentaires en pénurie, faute de budget suffisant consacré aux importations. Surtout, il devra composer avec un chef d’Etat qui refuse de reconnaître cette réalité budgétaire, préférant se focaliser sur la main invisible de ce qu’il appelle « les cartels de la distribution alimentaire ».