Tunisie. Limogeage du ministre des Affaires étrangères : un remaniement qui ne dit pas son nom

 Tunisie. Limogeage du ministre des Affaires étrangères : un remaniement qui ne dit pas son nom

Othman Jerandi à la tribune de l’ONU

C’est par un court communiqué que le président de la République, Kais Saïed, a annoncé le soir du 7 février 2023 que le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens de l’étranger, Othaman Jerandi, a été démis de ses fonctions. Une manœuvre qui s’inscrit en réalité dans une série d’évictions qui signalent un changement de politique gouvernementale.

Nabil Ammar au cours de sa prestation de serment

Pour succéder à Jerandi, Nabil Ammar a aussitôt été nommé en tant que chef de la diplomatie tunisienne. Diplomate de carrière, ce dernier était jusque-là ambassadeur de Tunisie en Belgique et au Luxembourg, et représentant auprès de l’Union européenne. Durant sa carrière il avait été en poste notamment à l’ambassade de Tunisie à Rome, avant d’être nommé chargé d’Affaires à Oslo, puis ambassadeur à Londres (2013), tout en alternant de hautes fonctions au siège du département à Tunis. Avant de rejoindre Bruxelles en 2020, Nabil Ammar avait été directeur général pour l’Europe.

Ecartons d’emblée la probabilité évoquée par certains quant au fait que le dernier tweet en date de Jerandi en tant que ministre soit la principale cause de son départ. Il n’y est fait mention que d’une conversation téléphonique avec son homologue syrien pour coordonner les efforts humanitaires suite au séisme qui a touché la Turquie et la Syrie. Certains évoquent aussi l’exfiltration de la journaliste et opposante algérienne Amira Bouraoui vers la France, la Tunisie ayant collaboré avec les autorités françaises, pour expliquer le limogeage de Jerandi, mais ce dernier n’a vraisemblablement pas agi seul, sans l’aval de Carthage.

Car en réalité, cela fait bien plus longtemps que Carthage songe à remercier Jerandi. Ainsi parmi les partisans de Saïed et les cercles proches de la présidence, on annonçait le remplacement imminent de Othman Jerandi dès l’entre-deux tours des élections législatives en janvier dernier.

Othman Jerandi, en tant que personnalité aux avant-postes ayant traversé plusieurs époques, de Ben Ali à Saïed en passant par la troïka et Caïed Essebsi, n’avait clairement pas le profil type des lieutenants ayant adhéré à l’idéologie saïdiste.

Les signes avant-coureurs de mésentente entre Kais Saïed et son ministre des Affaires étrangères Jerandi s’étaient accumulés à mesure que l’on remarquait le nombre record des vacances de postes dans les représentations diplomatiques tunisiennes à l’étranger (Italie, Turquie, etc.). Si la nomination des consuls et des ambassadeurs est la chasse gardée du Palais, c’est au ministère régalien de lui proposer des noms à ces postes. Or, la paranoïa présidentielle est telle durant ce mandat à caractère messianique de Kais Saïed, que la validation des diplomates était devenue un casse-tête, tant la suspicion de trahison devient la norme.

 

Un jeu de chaises musicales en guise de remaniement déguisé

Discrets, ces bouleversements dans l’équipe de Najla Bouden trahissent un dessein plus grand : il semble que nous soyons face à un mini remaniement gouvernemental qui ne dit pas son nom. C’est en effet le quatrième remaniement partiel effectué par le chef de l’Etat dans le gouvernement Bouden, à l’issue des changements intervenus aux portefeuilles du Commerce, de l’Education nationale et de l’Agriculture, mais aussi le premier touchant un ministère de Souveraineté.

Non seulement Kais Saïed attendait visiblement les résultats du scrutin législatif pour asseoir davantage sa mainmise sur une gouvernance qui lui soit plus loyale, ces changement sont aussi annonciateurs d’un passage à la vitesse supérieure dans l’exécution du chantier présidentiel. Pourquoi alors ne pas avoir procédé à un remaniement en bonne et due forme au lieu de ces remplacements ponctuels individuels ?

Un remaniement aurait d’abord été synonyme d’aveu d’énième échec dans un gouvernement récent que le président Saïed venait à peine de nommer, mais il aurait été également un signal d’instabilité envoyé au FMI, en pleine période de difficiles négociations avec le Fonds qui demande précisément des gages de stabilité gouvernementale, et où la présidence ne souhaite pas encore limoger la Première ministre.

Quoi qu’il en soit, le choix de Nabil Ammar est d’ores et déjà contesté par l’opposition et une partie de la presse étrangère qui attire l’attention de l’opinion sur des déboires judiciaires du nouveau ministre des Affaires étrangères en Belgique où son ancienne assistante a porté plainte en novembre dernier pour harcèlement.