Tunisie. Liberté de circulation en péril ? Le président Saïed s’explique
A entendre le président Kais Saïed infirmer les agissements d’un exécutif totalement sous ses ordres depuis le 25 juillet, on ne peut que conclure à une forme de déni ou de dissonance cognitive, les incantations présidentielles ne résistant pas à l’épreuve des faits.
Parmi les mesures tacites que l’opinion publique découvre peu à peu depuis le coup de force d’il y a maintenant 23 jours, l’interdiction de voyager, ou plutôt l’extension du domaine de cette interdiction. C’est la militante féministe et ancienne élue Nidaa Tounes, Bochra Bel Haj Hmida, qui fut la première à alerter à propos de cette dérive dès le 27 juillet dernier. Durant 30 minutes d’attente inexpliquée avant de pouvoir finalement embarquer, les agents de la police des frontières ont procédé à des vérifications auprès de leur hiérarchie, n’étant visiblement pas certains de l’actuel statut de l’ex députée.
Mais le message est clair, de facto : tout élu parlementaire est dorénavant présumé suspect.
L’immoralité des punitions collectives
Puis ce fut au tour de plusieurs chefs d’entreprise de devoir rebrousser chemin, sans explication, n’étant pas au fait de poursuites les concernant, et du député Anouar Bel Chahed, représentant la circonscription des Tunisiens de l’étranger de France Sud, empêché le 15 août de rejoindre Marseille là où vit sa famille. Son parti, le Courant démocrate, qui soutient pourtant les mesures présidentielles dites d’exception, a publié un communiqué condamnant une « flagrante atteinte au droit constitutionnel de la libre circulation des individus ».
Interrogé à propos de ces épisodes, le porte-parole du parquet, manifestement gêné, explique qu’outre les personnes faisant l’objet de poursuites judiciaires, le ministère de l’Intérieur applique actuellement des « procédures administratives à titre préventif ». Face à la polémique grandissante à ce sujet, le président de la République Kais Saïed décide d’agir hier 16 août, mais selon un modus operandi inchangé auquel il recourt pour toutes sortes de situations : faire irruption à l’endroit théâtre du problème et investir les lieux, en l’occurrence l’aéroport Tunis – Carthage.
Que résout ou que clarifie ce déplacement physique du président ? Absolument rien, en dehors du fait que cela sert de prétexte à une prise de parole confuse et à un énième bain de foule en pleine pandémie. « De quelle dictature parlent-t-ils ? Il n’y a pas eu de potences échafaudées dans les places publiques, ni de personnes fusillées à ce que je sache ! », martèle Saïed en tapant du poing sur la table devant des sécuritaires de l’aéroport, tout en demandant « un peu de patience ».
Le spectre du retour du 99,99%
Selon un sondage, réalisé par Sigma Conseil publié ce mardi 17 août, le président Kais Saïed occuperait désormais la première place dans les intentions de vote à la présidentielle avec un étonnant 91.9%, c’est plus qu’un plébiscite. Il serait suivi de Abir Moussi loin derrière avec 2 petits %, Safi Saïd à 1,4%, Nabil Karoui à 1.3%, et Moncef Marzouki gratifié d’un 1,2%.
Le président n’ayant pas de parti politique à proprement parler, c’est en revanche le Parti destourien libre, nostalgique de l’ancien régime de Ben Ali, qui demeure en tête en termes d’intentions de vote aux législatives, avec un important taux de 30.8%.
Mais 20.1% des personnes interrogées indiquent qu’elles voteraient pour le « Parti de Kais Saïed ». Ennahdha, Qalb Tounes et le Courant démocrate ferment la marche avec respectivement, 10.9%, 7.8% et 5.9%.
Selon le même baromètre, 94,9% des Tunisiens soutiendraient le coup de force présidentiel du 25 juillet dernier, « un chiffre unanimiste digne des pays sous-développés », commentent les rares voix dissidentes sur les réseaux sociaux.