Tunisie. Libération du député et ex ministre Noureddine Bhiri
Tard dans la nuit de lundi à mardi 8 mars, c’est par un court communiqué que le ministère de l’Intérieur a annoncé la « levée de l’assignation à résidence » concernant deux individus sans les nommer. Décryptage d’un timing plus que significatif.
Vérification faite auprès de leurs comités de défense, il s’agit bien de l’ancien ministre de la Justice et actuel député Ennahdha suspendu, ainsi que Fathi Beldi, un ancien cadre du ministère de l’Intérieur présumé proche du parti islamiste.
Du point de vue de la forme, le texte est porteur d’une contradiction dans les termes, puisqu’en nommant les gouverneurs chargés de mettre fin à ce qu’il appelle « l’assignation à résidence », en l’occurrence ceux de Bizerte et de la Manouba, la source reconnaît implicitement que les deux personnes concernées ne se trouvaient pas dans leurs domiciles respectifs.
Pour leurs avocats et la société civile mobilisée depuis le 31 décembre 2021, date de leur « enlèvement », les deux détenus étaient en réalité « kidnappés » selon un modus operandi caractéristique de la disparition forcée, « un crime passible de poursuites pénales internationales », dixit le comité de défense qui avait entrepris des démarches en ce sens auprès de diverses instances, surtout depuis la détérioration de l’état de santé de Bhiri. En grève de la faim depuis plusieurs semaines, ce dernier aurait perdu 25 à 30 kilos, visiblement très affaibli, selon l’un des membres de sa famille autorisés à le visiter à l’hôpital régional de Bizerte où il a un temps séjourné.
Pour rappel, le 31 décembre 2021 vers 08h00 du matin, alors que le député et vice-président d’Ennahdha, Noureddine Bhiri, sort de son domicile accompagné de son épouse l’avocate Saïda Akremi qui conduisait leur véhicule, des véhicules SUV banalisés leur barrent la route. D’après des témoins oculaires de la scène, la conductrice est brutalisée au moment où elle tente de s’interposer, tandis que son époux est emmené vers une destination restée inconnue à ce jour. Nous apprendrons plus tard que la procédure s’est faite en vertu d’une jurisprudence datant de 1978, un décret présidentiel autorisant le ministre de l’Intérieur à placer « en résidence surveillée des individus présentant une menace pour la sûreté du pays ».
Pour Carthage, l’acte signe davantage une victoire qu’une détente
Politiquement, cette libération intervenant au moment où les rumeurs se multipliaient autour de l’état de santé critique de Bhiri, évite opportunément au nouveau pouvoir post 25 juillet d’avoir à gérer le risque d’un décès clinique du sexagénaire, synonyme de troubles et de potentielle révolte du camp islamiste mais aussi démocrate, lui opposé aux méthodes musclées employées dans cette « capture ».
Cependant la principale raison de ce timing est que le président Kais Saïed a supervisé en ce lundi 7 mars 2022 une cérémonie de prestation de serment des nouveaux membres du « Conseil supérieur provisoire de la magistrature », un Conseil dont rien ne dit qu’il soit « provisoire » selon de nombreux observateurs. Ainsi après avoir décidé unilatéralement la dissolution de la précédente mouture de cette instance, le chef de l’Etat a lui-même nommé l’essentiel des nouveaux magistrats de ce CSM, prévoyant un quota important de juges retraités rappelés de leurs retraites.
Délesté du barreau des avocats et du corps des huissiers notaires autrefois représentés, le nouveau Conseil comporte les instances provisoires du judiciaire, de la justice administrative et financière.
En clair, maintenant que Carthage a parachevé sa mainmise sur la justice, Bhiri, l’homme soupçonné d’accointances persistantes avec une partie de la magistrature ne constitue plus une menace pour l’actuel pouvoir, d’où sa libération.
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