Tunisie. L’homme d’affaires Marouane Mabrouk placé en garde à vue

 Tunisie. L’homme d’affaires Marouane Mabrouk placé en garde à vue

Marouane Mabrouk

C’était l’une des rares grandes fortunes constituées durant l’ancien régime à avoir échappé jusqu’ici à la case prison. Hasard ou non du calendrier, le Parquet, via son Pôle judiciaire économique et financier, a ordonné ce soir 7 novembre le placement en détention de l’homme d’affaires et ex-gendre de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, Marouane Mabrouk (51 ans).

Le businessman est en garde à vue pour une durée de cinq jours, apprend-on tard dans la nuit de mercredi à jeudi. La décision a été prise à la date du 7 novembre 2023, « tout un symbole » pour les partisans du président de la République Kais Saïed qui réclamaient davantage de « têtes » dont la fortune fut essentiellement constituée avant la révolution du 14 janvier 2011, un évènement « inachevé » pour Saïed qui ne le reconnaît que partiellement et entend le réécrire.

La loi tunisienne stipule que la garde à vue dans ce type d’instructions ne peut être prolongée que pour deux fois de suite. Selon une source judiciaire, la décision a été prise notamment à la suite de soupçons de blanchiment d’argent.

 

Un déni de réconciliation pénale ?

Pourtant, œuvrant à devancer l’enquête en cours, l’intéressé avait sollicité dès juillet 2023 la Commission de réconciliation pénale. Créée par le président Saïed en mars 2022, cette institution est missionnée pour se substituer le cas échéant, sur la base du volontariat, aux poursuites judiciaires et condamnations dont sont passibles les auteurs de crimes économiques durant le demi-siècle écoulé, via le versement de pénalités ou la réalisation de projets dans les régions démunies du pays. Sauf qu’à ce jour, cette commission n’a pu réunir que des sommes dérisoires en comparaison avec ses très optimistes objectifs qui se chiffrent en milliards de dinars, ce qui lui vaut le courroux du Palais de Carthage qui a d’ores et déjà évincé deux de ses membres magistrats.

Quoi qu’il en soit, la sollicitation de la procédure en réconciliation n’aura visiblement pas suffi pour que Marouane Mabrouk évite la prison. Le 1er septembre, l’homme d’affaires avait été convoqué par la Commission, mais ré-auditionné aussitôt par les agents du Pôle judiciaire financier pour enquêter sur « des délits financiers complexes liés au dossier des biens confisqués », ce qui semble indiquer une course à la clôture du dossier entre deux institutions de l’Etat.

Ce jour-là, Mabrouk s’était réuni accompagné de plusieurs de ses avocats avec la Commission de réconciliation, une première séance à l’issue de laquelle il a exprimé sa volonté de conclure une réconciliation pénale avec l’État tunisien en échange de l’arrêt des poursuites ouvertes contre lui. Il a alors été convenu de tenir de futures sessions entre les deux parties pour formuler l’accord de réconciliation final et le montant devant être payé par Marouane Mabrouk pour cette réconciliation.

Mais un mois plus tard, le 2 octobre 2023, le premier juge d’instruction du Pôle judiciaire financier a procédé à un interrogatoire d’une dizaine d’heures de l’homme d’affaires dans le cadre de l’affaire liée à la levée du gel de ses fonds dans l’Union européenne. Le même juge avait décidé précédemment de lui signifier une interdiction de voyager pour une durée de 6 mois renouvelable.

Maintenu dans un premier temps en liberté en raison de la présentation de preuves indiquant qu’il avait entamé des négociations officielles avec la Commission de réconciliation pénale, son dossier patine néanmoins et le conduit de nouveau devant la justice cette fois sans passe-droit.

 

Un empire industriel et bancaire du capitalisme rentier

Déjà visé par une décision de confiscation prise sur la base du décret-loi no 2011-13 du 14 mars 2011, l’ancien gendre du président Ben Ali dénonçait à l’époque une tentative de spoliation. Il fut cependant conforté par deux décisions de justice en 2014 où il a été blanchi par la Cour d’appel de Tunis dans l’affaire de la société Le Moteur (concessionnaire Mercedes).

Le groupe Mabrouk, dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros et qui emploie directement plus de 20 mille personnes, est un fleuron familial principalement implanté dans les secteurs de l’agroalimentaire (Sipca, Saïda), de la grande distribution (Géant-Casino, Monoprix), de l’automobile, des télécommunications (Orange), de l’hôtellerie, et de la banque (Biat). Il est leader dans nombre de ces domaines en Tunisie.

Le père, Ali Mabrouk, avocat de formation, commence à diversifier ses activités à la fin des années 1940. Entrés dans le groupe respectivement en 1988, 1991 et 1997, ses trois fils, Mohamed Ali, Ismaïl et Marwan le cadet, poursuivent l’œuvre de leur père après sa mort en 1999, en intensifiant la diversification et le développement du groupe.

A partir de 2005, le groupe Mabrouk investit massivement via la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat) en rachetant des titres à Morgan Stanley, au fonds Blakeney Management, à la Banque populaire et à différents actionnaires tunisiens, et détient en 2007 avec 40 % du capital de la Biat, la dotant d’un actionnariat stable, à l’abri d’une OPA, et très majoritairement tunisien. La Biat, première banque de Tunisie à partir de 2014, compte de nombreuses filiales spécialisées dans les activités bancaires, financières et d’assurance.

Dans ses précédentes comparutions devant la justice, la défense du discret Marouane Mabrouk avait pu faire-valoir le fait que la fortune du groupe a largement été constituée avant que leur client ne devienne un temps le beau-fils de l’ancien dictateur Ben Ali en épousant sa fille Cyrine Ben Ali en 1996, avec laquelle il avait fondé la radio Shems FM et dont il est aujourd’hui divorcé. Mais à 1 an des prochaines échéances électorales de la présidentielle, le président Saïed a décidé d’enclencher la vitesse supérieure et d’accentuer la pression sur les milieux aisés du pays, principaux responsables selon sa doctrine politique de la crise économique du pays.