Levée de boucliers suite à la fatwa néolibérale du mufti de la République

 Levée de boucliers suite à la fatwa néolibérale du mufti de la République


 


Le mufti de la République Othman Battikh a émis lundi ce qui s’apparente à une fatwa, décrétant certaines protestations sociales comme « impies ». Il appelle les Tunisiens à mettre fin aux conflits sociaux « pour sauver le pays du marasme économique et social », peut-on lire dans un communiqué. Or, le tollé qui s’en est suivi ces dernières 24 heures montre bien que le pays n’est plus dans l’ère de la dictature, quand le religieux institutionnel volait souvent au secours du politique. 


 


Le mufti qui avait déjà occupé ce poste en 2008 sous Ben Ali avant de devenir ministre des Affaires religieuses de février 2015 à janvier 2016, met en garde sur un ton autoritaire inédit depuis la révolution, contre « les mouvements protestataires anarchistes, les sit-in entravant le travail et la production », tout en appelant à « cesser de dresser des barrages sur les routes » ainsi que « toute atteinte aux biens publics ».


 


Comme un air de déjà entendu


Le mufti de la République assimile en effet ces actions à « de la débauche ici-bas, acte puni par la religion ». « Ses auteurs méritent qu'on les frappe sur les mains »… Depuis, le mufti est devenu la risée du net.  


Il n’a pas échappé aux internautes qu’en 2011, des propos similaires tenus à l’Assemblée constituante par l’élu d’Ennahdha Sadok Chourou, un radical qui avait littéralement appelé à « couper un bras et une jambe aux grévistes, ou de les crucifier » (sic) citant un verset du Coran, avaient suscité une large indignation parmi les milieux modernistes et laïques. Milieux observant un silence embarrassé aujourd’hui que la rhétorique employée sous Nidaa par le mufti Battikh s’avère être quasiment la même.  


 


La nouvelle droite, post-moderne ou archaïque ?  


« Ces protestations nuisent à la réputation de la Tunisie à l'échelle internationale au moment où le chef de l'Etat fait tout pour vendre une belle image du pays », a surenchéri Othman Battikh sur les ondes de Shems FM, répondant au journaliste qui lui donnait une chance de se rattraper lundi 26 septembre.


« Dieu déteste le chômeur et l'arrêt du travail (…) si le droit de grève est un droit constitutionnel, le droit au travail, l'est aussi et c'est en plus une obligation religieuse », poursuit-il, imperturbable.


Parmi les réactions sans appel, citons celle de l’UGTT, qui a fermement mais courtoisement appelé Diwan al-iftaa à « se tenir loin des mouvements sociaux et aux questions qui ne relèvent pas de ses prérogatives ». Via son secrétaire général adjoint Bouali Mbarki, la centrale syndicale avertit l’organe de l’Etat chargé du culte contre le risque de décrédibiliser cette institution suite à de telles ingérences politiques malvenues, en voulant « décréter ce qui est péché ou ne l’est pas ».


Le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES) a également réagi avec véhémence, appelant le gouvernement à « assumer ses responsabilités en matière de protection de la Constitution ».


Accessoirement, le gouvernement Chahed, communément appelé celui de "la jeunesse", a pris un sérieux coup de vieux. En effet, en inaugurant un nouveau pallier dans la diabolisation des mouvements sociaux, Othman Battikh ne fait pas que s’inscrire dans la longue lignée des muftis des dictatures qui ont œuvré notamment sous Ben Ali ou encore sous Bachar al-Assad pour justifier les pires atrocités. A travers lui, c’est la droite néolibérale qui renoue avec le non moins de droite traditionalisme, une jonction qui réunit les deux conservatismes superstitieux et fiscal.


 


S.S