Tunisie. Levée de boucliers contre le passage en force présidentiel

 Tunisie. Levée de boucliers contre le passage en force présidentiel

Le président Saïed a rencontré vendredi soir 27 mai Farouk Bouasker, président de l’ISIE, pour lui signifier selon un communiqué « la nécessite de faire en sorte que le referendum du 25 juillet réussisse »

En Tunisie, les langues se délient après le récent refus de la centrale syndicale UGTT de prendre part au dialogue tel que pensé par le président Kais Saïed. Un rejet qui semble avoir libéré la parole de nombreuses figures nationales : elles ne cachent plus leur opposition frontale au projet présidentiel de refonte totale des institutions du pays.

Parmi les nouveaux réfractaires, d’anciens alliés du président quittant « un navire à la dérive », tels que le juriste Seghaier Zakraoui, qui était il y a encore quelques mois parmi les plus ardents défenseurs du coup de force du 25 juillet 2021. « On vous a débusqué ! », s’adresse-t-il aujourd’hui vendredi avec véhémence directement au chef de l’Etat. « Durant l’année écoulée, vous n’avez fait qu’utiliser un cheval de Troie pour infiltrer les rouages de l’Etat et mettre en place votre régime dit de l’inversion de la pyramide du pouvoir (al nidham al-qaïdi) », poursuit-il.

 

Au terme de 10 mois de silence, l’autre tirade qui fait grand bruit, publiée hier soir, est celle de l’ancien ministre Lazhar Akremi, avocat considéré proche des milieux sécuritaires. « Toute personne qui observe encore une posture du silence à ce stade se rend coupable de complicité de haute trahison » a estimé Akremi. Il ajoute que « tous les régimes populistes ont commencé par une propagande du dirigeant incorruptible, immaculé et au-dessus de tout soupçon ».

 

Hier soir, l’unique architecte de la Constitution de la « nouvelle République » qui reste à disposition du président Saïed, le constitutionnaliste octogénaire Sadok Belaïd, a livré une prestation aussi étrange que confuse sur la chaîne Attassia TV. Un passage télévisuel qui n’a sans doute pas aidé à rassurer les Tunisiens.

Dès la première question concernant le contenu de ce texte et si le doyen Belaïd été ou non consulté au préalable au sujet du calendrier référendaire, il observe un long silence d’une trentaine de secondes. Un type de silences terribles en direct à l’antenne. Visiblement embarrassée et peut-être inquiète pour sa santé, notre confrère Malek Baccari le relance. C’est à ce moment que l’intéressé dit ne pas vouloir répondre à cette question, estimant que son rôle reste celui d’un superviseur technique de sa commission, sans plus.

 

Figure appréciée des Tunisiens, le scénariste et chroniqueur Hatem Belhadj s’est lâché à son tour à l’antenne d’IFM ce matin : « Sadok Belaïd n’a-t-il pas honte du énième crime qu’il s’apprête à commettre à l’encontre de notre nation ? Quel message ces courtisans adressent-ils à nos jeunes ? Que seules l’obséquiosité et la servilité vous conduiront à la réussite ? ».

Appelés à faire partie de la Commission présidentielle consultative, les doyens des Facultés de Droit ont refusé l’invitation dans une tribune co-signée, demandant à ne pas être mêlés aux projets à caractère politique. Qu’à cela ne tienne, leurs noms figureront malgré eux dans un décret publié dès le lendemain comprenant la composition de la Commission. Un entêtement irrationnel que certains s’expliquent par le fait que pour l’ultra légaliste Kais Saïed, il suffit de légiférer sur une question pour qu’elle devienne réalité. Idem pour l’UGTT qui se retrouve impliquée par décret alors même qu’elle dit avoir refusé de participer. Problem solved!

 

Le camouflet de la Commission de Venise

Le référendum du président Saïed ainsi que les élections législatives censées lui succéder le 17 décembre prochain étaient sur la table de la Commission de Venise depuis le 27 avril 2022. C’est en l’occurrence le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), par l’intermédiaire de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, qui l’a saisie pour faire la lumière sur la légalité du processus en cours.

Ce qui intéresse tout particulièrement la Commission de Venise (Commission européenne pour la démocratie par le droit), dont la présidente avait pour rappel été reçue au Palais de Carthage en avril dernier, c’est le décret présidentiel 2022-22, en vertu duquel Saïed a amendé la Loi organique régissant l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE). Mais ce n’est pas là le seul grief formulé aujourd’hui par le rapport final de la Commission.

Ainsi la Commission de Venise a conclu sans appel que :

Un avis que méprise ouvertement le membre du Conseil de l’ISIE, récemment désigné par Kais Saïed, Sami Ben Slama, qui appelle élégamment la Commission de Venise à se « torcher » avec son rapport. L’homme appelle avec la même élégance ses critiques à aller se faire f*****.

Dans son édition en ligne du vendredi 27 mai, le monde titre « En Tunisie, l’isolement du président Kaïs Saïed s’accroît ». Même son de cloche du côté du Figaro, qui a titré le 25 mai, « En Tunisie, l’isolement de Kaïs Saïed ».