Les syndicats des forces de l’ordre menacent-ils l’Etat de droit ?
Des officiers et agents des forces de l’ordre, en uniforme et en civil, se réclamant des syndicats des forces de l’ordre, se sont rassemblés toute la journée d’hier lundi aux abords et dans l’enceinte même du Tribunal de première instance de Ben Arous où étaient jugés trois des leurs. Un « encerclement » armé qui choque l’opinion et rouvre le débat sur la légitimité des syndicats de police.
Les trois policiers étaient jugés en première instance pour des faits de torture présumée d’un suspect de complicité dans les affaires de l’assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, actuellement toujours en détention. Ils ont tous bénéficié d’un non-lieu. Mais à l’annonce du verdict à la tombée de la nuit, le tribunal était toujours encerclé par des syndicalistes des forces de l’ordre, dont certains ont intimidé et dissuadé des passants qui prenaient des photos de la scène.
Les magistrats ont-ils agi sous la menace ? C’est en tout cas ce que suggère la pluie de réactions issues des réseaux sociaux, de la société civile mais aussi des partis politiques.
Un communiqué est cependant venu semer un peu plus le trouble, celui de l’Ordre des avocats qui, signé par son doyen Ameur Meherzi, ne contient aucune condamnation des conditions dans lesquelles s’est déroulé le procès, et affiche un biais en faveur de la défense. Un communiqué en accord, sur le fond, avec la prise de position pro police du député du Front Populaire Mongi Rahoui.
Sur les réseaux sociaux, certains statuts facétieux ont noté que l’encerclement du Tribunal par les forces de l’ordre a duré bien plus longtemps qu’un autre encerclement célèbre : celui des salafistes djihadistes qui avaient encerclé la Mosquée d’al Fath en 2012 afin d’empêcher à l’époque la capture d’Abou Iyadh.
D’autres ont rappelé qu’il y a deux ans jour pour jour, les mêmes syndicats des forces de l’ordre avaient envahi la très sécurisée Place du gouvernement à la Kasbah, scandant des slogans qui appelaient le chef du gouvernement Habib Essid et leur propre directeur général de la Sûreté à partir. Les poursuites judiciaires contre eux n’avaient là aussi pas abouti.
Choqués par des armes d'assaut visibles dans l'enceinte du Tribunal, les internautes ont décrit l'attitude de certains syndicalistes policiers comme étant celle de "véritables cow-boys"
Le Syndicat des magistrats qualifie l’épisode comme relevant du « crime organisé »
Le Syndicat des magistrats tunisiens a pour sa part dénoncé aujourd’hui mardi les incidents survenus lundi au Tribunal administratif de Ben Arous dans un communiqué en des termes fermes :
« Ce qui s’est passé dans l’enceinte de la juridiction peut être qualifié de crime organisé ». Le SMT a par ailleurs appelé à « réprimer de telles pratiques et à poursuivre les auteurs, conformément aux dispositions de la loi ».
Le syndicalisme policier, dont l'existence dans le cadre du syndicalisme traditionnel a suscité historiquement des débats dans la plupart des sociétés, s’est organisé après la révolution en Tunisie, sans débat sociétal préalable. Mais la défense des droits économiques et sociaux mise à part, lorsque les armes des policiers sont implicitement tournés contre les tribunaux et non pour les protéger, c’est la loi de la jungle qui fait alors débat.
En France, le droit de se syndiquer a été reconnu aux gendarmes qui sont des militaires par la Cour européenne des droits de l'Homme, et certaines mouvances comme la FPIP regroupent des policiers proches des milieux d'extrême droite.
Seif Soudani