Les ratages de l’installation d’un drapeau géant deviennent la risée du web

 Les ratages de l’installation d’un drapeau géant deviennent la risée du web


En marge des festivités de la 61ème commémoration de l’indépendance, un drapeau tunisien géant a été inauguré en grande pompe surplombant le parc du Belvédère au cœur de Tunis, lors d'une cérémonie officielle. Mais ce qui devait être en théorie une célébration pleine de superlatifs est en passe de virer au feuilleton à rebondissements, tant des soupçons de non transparence pèsent sur l’appel d’offre et tant l’installation ne s’est pas passée sans écueils…



« Gigantisme populiste »


Située sur les hauteurs du parc du Belvédère, poumon vert mais sinistré de la capitale, la nouvelle « Place du drapeau » est d’une superficie totale de plus de 300 mètres carrés, se félicite le ministre de l’Équipement Mohamed Salah Arfaoui. Ce sont pas moins de 14 mètres sur 21 de tissu, hissés sur un mât de 65 mètres, qui composent la bannière, à l’image d’une idée non originale du gigantisme patriotique tel qu’affiché de façon ostentatoire aux Etats-Unis notamment.


Mais si le ministre est aujourd’hui autorisé à se prévaloir des dimensions du drapeau géant, des députés de la majorité, dont l’élue Ennahdha Yamina Zoghlami, s’était indignée à l’Assemblée lors d’une séance de questions aux membres du gouvernement des conditions opaques dans lesquelles ce chantier a été engagé : « Nous autres élus de la circonscription de Tunis sommes surpris. J’ai moi-même appris cela à travers la presse et la société civile… Ni le gouverneur, ni la déléguée, ni le maire de la ville, ni la direction régionale du ministère, et encore moins les députés du Parlement n’ont été informés », s’est-elle offusquée.  


Sur sa page personnelle, le jeune chef du gouvernement Youssef Chahed compte visiblement communiquer en tirant profit du capital sympathie de l’édifice. Tout fut en effet orchestré pour s’approprier le projet : caméra embarquée en drone pour filmer le tout de haut, à grand renfort de musique majestueuse et d’effets vidéo hi-tech, avec un message simple de « fierté du drapeau », en pleine crise économique et sociale.


Un feuilleton à rebondissement


Mais dès sa mise en place, c’est le tollé sur la toile : le drapeau ne flotte pas ! Renseignement pris auprès d’experts, le drapeau restait collé à la balise à cause de la force du vent qui oscillait entre 0 et 3 km/h. Or, pour qu'une superficie de 300 m² se mette à flotter convenablement, il lui faut une force de vent entre 5 et 8 km/h. Et dès que le vent dépasse les 15 km/h il est évident qu'il faut berner sensiblement le drapeau pour éviter tout inconvénient.


C’est ce qui explique sans doute le cafouillage de sa « disparition » momentanée durant de longues heures dès le lendemain, officiellement pour « maintenance », sous les commentaires moqueurs des internautes. Cerise tragique sur le gâteau, on comprenait hier mardi qu’un accident ayant fait 1 mort et plusieurs blessés une semaine auparavant était lié au transport du sommet de l’édifice…


L’installation du drapeau avait été précédée par une polémique dans certains médias et sur les réseaux sociaux sur son coût et l’importation du tissu de Turquie, au moment où les temps sont particulièrement durs pour le secteur textile en Tunisie.


« Devant le drapeau de la Tunisie, on ne parle pas de montants », s’est contenté de dire le ministre de l’Équipement lundi aux journalistes. « Le promoteur tunisien qui a construit la colonne avait contacté plusieurs sociétés tunisiennes de textile et aucune d’entre elles ne possédait la qualité de tissu demandée pour la confection du drapeau national », a-t-il prétexté.  


Une source gouvernementale indique par ailleurs que « le coût de la place entière, incluant aménagement, poteau, et système hydraulique pour hisser le drapeau, ainsi que le drapeau lui-même est de 300 000 dinars » (environ 122 000 euros). Mais le site Hakaek Online cite une autre source parlant quant à elle de la bagatelle de 1,2 million de dinars (environ 485 mille euros)…


L’appel d’offre a été remporté par des entrepreneurs tunisiens, mais ils ont fait venir le tissu de Turquie car « les caractéristiques requises » n’étaient pas disponibles en Tunisie, et parce que des offres française et italienne étaient trop onéreuses, selon la même source. Mais le drapeau « a été tissé en Tunisie », insiste le ministre.


Des précisions qui ne satisfont pas le bloc parlementaire d’opposition Alirada, dont le chef Imed Daïmi a formulé le souhait de disposer prochainement de davantage de précisions sur la procédure de l’appel d’offre dans ce dossier.


Stefan Zweig écrivait : « Quand les drapeaux sont déployés, toute l'intelligence est dans la trompette ». De la même façon que le ministre Arfaoui a opposé l’argument de « la sacralité du drapeau », l'une des caractéristiques propres aux mesures populistes, est qu'elles sont difficilement critiquables sans se voir aussitôt opposer un procès en patriotisme.  


 


Seif Soudani