Tunisie. Les premières estimations donnent le « Oui » à 92,3%
A la clôture des bureaux de vote à 22h00, la Télévision nationale a rendu public ce soir 25 juillet un sondage en sortie des urnes relatif au référendum sur le projet de Constitution initié par le président de la République Kaïs Saïed : le oui l’emporterait à une écrasante majorité, « un score digne des plébiscites de l’ancien monde », selon les détracteurs du chantier présidentiel, qui ne reflète pas une société tunisienne bien plus divisée.
A 19h00, le nombre total des électeurs ayant participé à ce vote était estimé à 1 million 951 mille 563 citoyens, soit un taux de participation de 21,85% de l’ensemble des électeurs inscrits au registre électoral, a annoncé le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Farouk Bouasker. Il n’est donc pas exclu que le chiffre final atteigne le quart des inscrits, ce qui demeure très peu comparé aux derniers grands scrutins nationaux libres en Tunisie : ceux des législatives et de la présidentielle de 2019, respectivement 41.32% et 58,80% au second tour de la présidentielle.
> Mise à jour 23h00 : le nombre total des votants s’établit à 2,4 millions sur 8,9 millions d’inscrits, ce qui équivaut à 27,54% de taux de participation, soit une abstention record de 72,46%.
Un préoccupant problème de légitimité
Traditionnellement faible, le taux de participation des Tunisiens de l’étranger (16.4% aux législatives de 2019 et 19,7% à la présidentielle de la même année) est encore bien plus faible cette fois, avec des estimations le donnant à deux fois moins important qu’en octobre 2019.
Pour l’éminent juriste constitutionnaliste Slim Laghmani, en l’absence d’un seuil minimal, ce relativement faible taux de participation et donc d’adhésion au vaste projet de refonte présidentielle, et ce malgré la prolongation exceptionnelle des horaires de vote, pose d’ores et déjà la problématique du manque de légitimité nécessaire, étant donnée l’ambition revendiquée quasi « messianique » et « civilisationnelle » de Saïed.
Lors de son vote ce matin dans le bureau de vote de la cité Ennasr (Ariana), le chef de l’Etat Kaïs Saïed a prononcé un discours dans lequel il a comme à son habitude accusé « certaines parties » de vouloir saborder le référendum.
Une patente infraction au silence électoral
La scène est quelque peu surréaliste en pareille occasion : en plein silence électoral, Kais Saïed n’a en effet pas hésité à violer la loi et à promouvoir son projet de constitution en attaquant ses détracteurs, devant un micro installé en pleine cour du centre de vote. « Même dans les dictatures du monde ancien, les gouvernants s’emploient à maintenir une légalité formelle aux processus électoraux biaisés », relèvent des internautes.
Dans ce discours acrimonieux, le président de la République a par ailleurs relancé une rengaine complotiste laissant entendre que les derniers incendies de forêt qui ont éclaté récemment dans plusieurs régions du pays auraient été provoqués afin « d’empêcher les citoyens de se déplacer aux urnes ». Une allégation présentée sans preuves, autour d’un mythe urbain pourtant débunké à maintes reprises par de nombreux scientifiques des incendies qui ravagent en ce moment de nombreuses régions du monde, y compris l’Algérie et le Maroc voisins.
Qu’en dit la loi électorale ? La loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et aux référendums, définit encore la campagne électorale ou la campagne référendaire comme l’ensemble des activités menées par les candidats ou les listes de candidats, leurs sympathisants ou les partis, durant la période définie par la loi, pour faire connaître le programme électoral ou le programme relatif au référendum par le biais de différents moyens de propagande et méthodes légalement admissibles, en vue d’inciter les électeurs à voter en leur faveur le jour du scrutin.
Elle définit par conséquent le silence électoral comme la période englobant le jour du silence électoral et le jour du scrutin jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote de la circonscription électorale. L’article 69 dispose que, durant le silence électoral, toute forme de propagande est interdite. Selon l’article 155 : toute violation aux dispositions de l’article 69 du code électoral est passible d’une amende allant de 3.000 dinars à 20.000 dinars.
L’instance supérieure indépendante pour les élections avait souligné dès le samedi 23 juillet la nécessité de respecter le silence électoral, affirmant « toute manœuvre de campagne électorale le jour du silence électoral est réputée être une infraction pénale pouvant être transférée devant le parquet ». Mais il semble difficile, voire impensable, que l’ISIE dans sa configuration actuelle, nommée par le président Saïed lui-même, interpelle l’intéressé sur son statut de juge et parti.
A l’annonce des premières estimations, l’Avenue Bourguiba se prépare à fêter toute la nuit ce que les partisans du président Saïed considèrent comme « une victoire historique qui rompt avec une décennie noire », malgré la consécration et le retour de l’hyper présidence.