Tunisie. Les pénuries de carburant et de denrées alimentaires se multiplient
En marge de la tenue du Sommet de la « TICAD 8 » (Tokyo International Conference on African Development), les 27 et 28 août 2022, l’Avenue Habib Bourguiba, la Place 14 Janvier, l’Avenue Mohammed V et le Jardin du Japon ont été réaménagés, parés d’enseignes lumineuses par la municipalité de la ville de Tunis. Mais à quelques encâblures du centre-ville de Tunis, une toute autre réalité se dessine, faite de file d’attentes et de pénuries inédites qui s’installent dans la durée.
Sur plusieurs centaines de mètres, des files d’attente géantes bloquent la circulation des véhicules aux abords des stations-service ces dernières 48 heures. Pénurie oblige, le carburant est rationné à hauteur de 50 dinars par client. Les esprits s’échauffent suite aux incivilités de ceux qui tentent de griller la politesse pour grapiller quelques places, tandis que certains payent un bakchich pour faire le plein. Après une heure d’attente, il n’est pas rare que l’on fasse demi-tour à l’annonce de l’épuisement des réserves de la station.
Le sucre, la semoule, la farine, le riz, l’huile végétale, l’eau en bouteille, les boissons gazeuses, les jus, le beurre et maintenant le café. C’est là la longue liste de produits concernés dans les grandes surfaces par des notices du type : « Nous informons notre clientèle que plusieurs produits sont en déficit de livraison à cause des pénuries. Nous devons donc limiter les ventes par client à un ou deux produits parmi ceux inscrits dans la liste ». Dans les superettes, les plus attentifs remarquent que certains produis comme les sodas, particulièrement prisés en été, sont dissimulés pour faire l’objet d’un favoritisme : les riverains et habitants du quartier d’abord.
Pire, le gérant d’une enseigne de supermarchés nous apprend avoir eu vent du risque de fermeture imminente de certaines usines dépendant directement de l’approvisionnement en sucre. Aujourd’hui 26 août, ses craintes se confirment : des dizaines d’employés des usines de boissons gazeuses et de biscuits, mis au chômage technique suite à l’arrêt de la production, manifestent devant le siège du gouvernorat de Ben Arous.
Si le contexte international inflationniste, impacté par la guerre russo-ukrainienne, y est pour beaucoup, les autorités, dont le ministère tunisien du Commerce, sont pointées du doigt pour leur inaction et leur manque de communication autour de cette crise, lorsque les responsables ne sont pas simplement dans le déni s’agissant de l’état des stocks stratégiques.
Pour la énième fois, la présidence de la République s’acharne sur ce qui semble être un bouc émissaire ou un symptôme : en recevant jeudi la Première ministre Nejla Bouden, le président Saïed l’a appelée une fois de plus à « punir les spéculateurs » qui selon lui « improvisent des crises de sorte de s’enrichir illégalement ». Des ONG de vigilance expliquent de leur côté que le récent amendement du code pénal tunisien fut contre-productif. En punissant désormais la spéculation dans certains cas par des peines de plusieurs décennies de prison ferme, la nouvelle loi a résulté en une peur du stockage frigorifique notamment, ce qui a contribué à engendrer certaines pénuries via un effet domino.
Le bêtisier messianique
La même journée, un communiqué du Palais de Carthage nous gratifiait d’un texte étonnant, glorifiant les instructions présidentielles promulguées « selon l’approche tunisienne visant à sortir le continent africain, l’Humanité, et le monde entier de la situation actuelle », excusez du peu. La toile en rit, en invoquant les similarités de ce type de fanfaronnades avec feu le Colonel Kadhafi, ancien roi des rois d’Afrique et sauveur de l’Humanité. Lui non plus ne tarissait pas de superlatifs sur sa propre aspiration insolite à « atteindre aux plus hauts sommets de l’Histoire ». L’opposition propose pour sa part au président de se contenter trivialement de trouver des solutions pour la Tunisie, avant d’aller au chevet de l’Humanité.
« La Tunisie ambitionne de créer sa propre agence spatiale », annonçait quant à lui hier le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Moncef Boukthir. En attendant de conquérir l’espace, voilà de quoi se consoler du quotidien des pénuries de l’ici-bas.
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