Les partis politiques, victimes contingentes de la COLIBE

 Les partis politiques, victimes contingentes de la COLIBE

Mohamed Abbou


C’est l’un des effets les plus inattendus des annonces présidentielles quant à la réforme en vue de l’égalité homme – femme dans l’héritage : à gauche comme à droite, les partis s’entredéchirent chacun au niveau de ses bases, et font même face à des départs massifs d’adhérents mécontents du positionnement de leurs leaders respectifs. Dommages collatéraux ? Explications.


Petit par la taille au Parlement (3 sièges), mais grand par sa symbolique révolutionnaire et son aura médiatique, le parti Attayar (Courant démocrate) de Mohamed et Samia Abbou est le plus emblématique de ces récents déchirements internes, sur fond de positionnement délicat par rapport à la question du droit successoral.


 


Un pavé dans la marre


Dos au mur, les partis réagissent l’un après l’autre. C’est que l’un des effets pernicieux de l’annonce présidentielle réside dans le fait que ces derniers, qu’ils soient d’opposition ou dans le pouvoir, sont de facto sommés de prendre position sur cette épineuse question sociétale clé, dans un pays finalement peu rompu au débat sociétal, et qui a toujours globalement préféré ajourner de telles discussions, au nom du consensus et d’une paix sociale surannée.     


Contrairement à Moncef Marzouki, avec lequel il partage pourtant le même ADN résolument pro révolution, Attayar a tardé à publier un communiqué officiel, plus de deux jours après les faits, le 15 août au soir.


Là où l’ancien président Marzouki, aussi pro droits de l’homme que politicien, a exprimé une condamnation totale du « discours clivant » de Béji Caïd Essebsi, Attayar, transfuge du CPR, a quant à lui campé sur une position de principe : dans son deuxième point, le communiqué rejoint fondamentalement la proposition d’une réforme du code successoral en vue d’une égalité normative, quoiqu’il n’exclut pas le bienfondé de soumettre la question à un référendum. Tollé dans les rangs du pari à la bicyclette.


 


Les insultes fusent


C’est aussitôt une pluie d’insultes qui s’abattent sur la page du parti, venant essentiellement de la part d’adhérents se disant surpris, déçus et désillusionnés, et pour qui cet épisode est un « moment de vérité ». Dans les bureaux locaux du parti, les départs se succèdent, nous confie une militante à son tour surprise par le nombre de sympathisants réclamant de s’en tenir à la « stricte application du texte coranique » en la matière.


Comment expliquer un tel décalage entre une partie conséquente des bases du parti et son leadership ? Il s’agit en réalité d’un malentendu originel qui a sans doute guidé de nombreux sympathisants conservateurs dans leur adhésion au parti couleur orange.


Né d’une scission avec l’ancien CPR, Attayar affiche une identité complexe, porté par le charisme de la députée Samia Abbou, radicalement révolutionnaire, mais bien féministe et de centre-gauche sur le plan socio-économique. Une dimension qui a pu échapper à ceux qui apprécient l’affranchissement du parti par rapport à l’image Marzouki / troïka, mais n’avaient pas saisi les autres tenants, plus profonds, de cette émancipation par rapport au camp révolutionnaire sociétalement conservateur, paradoxe du printemps arabe.       


 


Le lourd prix politique de la probité intellectuelle


Durant les mois d’élaboration du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité, puis tout au long des semaines entre la date de la remise du rapport le 8 juin, et l’annonce présidentielle phare du 13 août dernier, la présidente de la COLIBE Bochra Belhaj Hmida s’était constamment plaint de la léthargie des partis politiques, dont même les plus en pointe d’ordinaire sur les questions de progressisme sociétal avaient opté pour un silence prudent.


Si le débat d’idées serin et productif n’aura pas eu lieu dans la période escomptée, c’est aujourd’hui qu’il explose dans des conditions particulièrement houleuses. « Un mal nécessaire », diront les pourfendeurs du statu quo, symptomatique du fossé philosophique entre certains leaders politiques défenseurs des droits humains indivisibles, et masses populaires encore souvent très attachées à la religion dans ce qu’elle a de plus littéral et superstitieux.  


 


Seif Soudani


 


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