Les ministres de la Défense et des Affaires étrangères limogés
Dans un communiqué plutôt laconique rendu public dans l’après-midi du mardi 29 octobre, la présidence du gouvernement annonce la mise à l’écart du ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi, du ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jinhaoui, ainsi que du secrétaire d'Etat chargé de la diplomatie économique, Hatem Ferjani, après concertation avec le président de la République, sans plus de précisions. Décryptage d’un triple limogeage spectaculaire.
On apprend dans le même communiqué qu’Abdelkrim Zebidi sera remplacé par Karim Jamoussi, actuel ministre de la Justice, qui occupera donc le poste de ministre de la Défense par intérim, et que Khemaies Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, sera remplacé par Sabri Bachtanji, son actuel secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères. Pas de remplaçant pour l’heure, en revanche, pour le secrétaire d’Etat Hatem Ferjani.
Sans doute dans le but de sauver la face et requalifier les faits, certaines autres sources ont avancé quelques heures auparavant que les deux ministres avaient décidé de démissionner de concert. En n’ayant pas su partir de leur plein gré, ils sortent ainsi par la petite porte.
Jusqu’au dernier moment, le ministre sortant des Affaires étrangères a continué de limoger des voix dissidentes au sein du corps diplomatique, à l’image du jeune Haithem Beltaief, remercié lundi sans ménagement pour avoir ébruité des dysfonctionnements dans l’ambassade tunisienne à Malte.
Signes annonciateurs et acte fort du nouveau pouvoir
Pour certains insiders au fait des arcanes du nouveau pouvoir, plusieurs messages avant-coureurs avaient été donnés dès la veille, lundi, par le volontariste nouvel occupant du Palais de Carthage qui entend affirmer sa tonalité pro révolutionnaire, sans perdre de temps.
Ainsi la rencontre de Kais Saïed avec le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas avait soulevé plusieurs interrogations, en raison de l'absence remarquée de son homologue, le chef de la diplomatie tunisienne Kemaies Jhinaoui, en soi une entorse assumée au protocole.
Deuxième signe fort, la présence lors de la même rencontre de Tarak Bettaieb, qui n’est autre que de l’ambassadeur de Tunisie à Téhéran, ce qui a alimenté les spéculations quant à sa future promotion en tant que conseiller diplomatique au Palais, voire d’un éventuel soutien de plus en plus explicite de l’Iran au nouveau pouvoir tunisien.
Autre message important, la présidence de la République a chargé Sabri Bachtobji de représenter la Tunisie à la 36e session de la Conférence ministérielle de la Francophonie qui se déroule les 30 et 31 octobre à Monaco, sachant que le prochain Sommet mondial de la Francophonie sera accueilli par Tunis en 2020.
Au-delà des considérations constitutionnelles qui font de ces deux portefeuilles régaliens la chasse gardée du président de la République, Abdelkrim Zbidi et Khemaïes Jhinaoui faisaient tous les deux partie de la garde rapprochée de feu Béji Caïd Essebsi qui les avaient nommés à leurs postes. Fidèles lieutenants d’Essebsi, tous deux ont eu des liens tumultueux avec l’actuel chef du gouvernement, Youssef Chahed, spécialement Abdelkarim Zbidi candidat rival de Chahed à la récente présidentielle.
Spectaculaire, ce limogeage n’en demeure pas moins une surprise lourde de significations. Il était en effet convenu chez l’opinion publique et les commentateurs politiques que l’ensemble de l’équipe gouvernementale serait maintenue en place pour gérer et expédier les affaires courantes, en attendant la formation d’un nouveau gouvernement.
Cette éviction constitue par conséquent une indication et un aveu, si besoin était, que le marathon des négociations en vue de la très difficile formation d’un nouveau gouvernement issu des dernières élections risque de s’éterniser. D’où le besoin de ne pas s’encombrer de deux ministres indésirables, ne serait-ce que pour des considérations purement protocolaires.
Il se murmure en outre qu’étant donnée la position très tranchée radicalement anti israélienne du président Kais Saïed (« tout acte de normalisation est une grande trahison » avait-il affirmé lors du second débat présidentiel), ce dernier refusait de toute façon catégoriquement de traiter avec Khemaies Jinhaoui, connu notamment pour avoir assuré la représentation diplomatique de la Tunisie à Tel-Aviv en 1996.
Selon l'article 89 de la Constitution tunisienne de 2014, « le gouvernement se compose du chef du gouvernement, de ministres et de secrétaires d’État choisis par le chef du gouvernement, et en concertation avec le président de la République en ce qui concerne les ministères des Affaires étrangères et de la Défense ».
L'article 92 de la Constitution stipule que relève de la compétence du chef du gouvernement « la cessation de fonction d’un ou de plusieurs membres du gouvernement ou l’examen de sa démission, et en concertation avec le président de la République en ce qui concerne le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de la Défense ».