Les autorités saisissent un « hélicoptère salafiste », la fille de l’inventeur répond
Les photos de l’invention insolite font le tour du web. L’histoire derrière la polémique n’en est pas moins ubuesque. Le ministère de l’Intérieur annonçait en grande pompe vendredi la saisie d’un hélicoptère « à un stade de conception avancé ». Les liens familiaux présumés salafistes du concepteur de l’engin font conclure le ministère à la thèse d’une initiative malveillante. Une conclusion peut-être hâtive.
Dans un communiqué daté du 11 décembre, photos à l’appui, le ministère de l’Intérieur, particulièrement volontariste en ces temps d’état d’urgence, a indiqué dans que « les unités de la Garde nationale ont placé en garde à vue un mécanicien de Ben Arous [banlieue sud de Tunis, ndlr] qui fabriquait un hélicoptère dans son garage. Les unités de la Garde nationale ont pu donc saisir, en coordination avec le ministère public, l’hélicoptère de 3 mètres 50 cm de long, abritant de deux places, et dont les travaux étaient bien avancés. »
Le mécanicien a affirmé qu’il avait eu l’idée de fabriquer un hélico et que son fils l’a aidé en lui fournissant le design des pièces qu’il a cherché sur internet.
Un effet d’annonce ? Ou quand le ministère verse dans le buzz
Mais la page officielle du ministère a cru bon de préciser que l’un des fils du mécanicien s’est avéré être un « salafiste takfiriste » qui est « parti faire le jihad en Syrie il y a trois ans », et que la fouille du domicile du mécanicien a permis de saisir des livres takfiristes appartenant à son second fils de 25 ans, celui qui l’a aidé à fabriquer l’hélicoptère. Le fils de 25 ans aurait avoué aux agents de la Garde nationale qu’il adoptait l’idéologie takfiriste et qu’il fait partie, depuis 2013, d’un réseau qui aide aux départs en Syrie et en Libye.
Le ministère de l’Intérieur a indiqué que l’enquête a permis de mettre en garde à vue sept personnes, dont le mécanicien. Un mandat de recherche a été émis à l’encontre de sept autres individus et cinq individus ont été présentés devant le juge.
La fille du mécanicien a cependant fait la déclaration suivante, quelques minutes après l’annonce faite par le ministère, dans une langue soignée :
« Je suis la fille de ce mécanicien et je tiens à signaler qu'il s'agit de propos diffamatoires sur mon père et mon frère ! Mon père a été relâché le jour même et mon frère y est toujours pour des raisons que nous ignorons, mais nous tenons à préciser qu'ils n'ont pas trouvé des livres ou des papiers parlant du Jihad. Mon frère est un jeune pratiquant, il est intègre et n'a aucune appartenance takfiriste, il est diplômé d'une licence en Génie mécanique et travaille avec mon père dans son garage essentiellement pour le diagnostic automobile. Notre seul crime est que nous avons un frère parti au jihad en Syrie, à notre insu.
Nous avons perdu un frère qui a décidé de partir en 2013 en Syrie, et est décédé là-bas (le 8 août 2013), son départ nous a anéanti, car nous avons toujours été la famille tunisienne modèle, patriote, bon vivante et progressiste, mais comme beaucoup d'autres familles, l'un des nôtres s'est fait endoctriner et manipuler et est parti en croyant servir une cause qu'il ignore, nous n'y sommes pour rien, on ne peut accuser toute une famille car l'un d'eux a fait le choix de partir en Syrie!
Mon père est surdoué depuis toujours, avant cet hélicoptère il a déjà fait preuve d'invention il y a une quinzaine d'année, lorsqu’il avait inventé une petite voiture deux places qu'il a baptisée "Mimona" et avait contacté le ministère de la technologie pour faire parler de son invention. Il avait alors eu des visites à son garage, quelques photos avec le ministre, et même un article dans un journal mais rien de concret. Cette voiture est restée devant le garage et a servi de refuge aux chats du quartier.
Aujourd'hui, et toujours fidèle à ses idées, il a construit tout seul un hélicoptère dans son garage, en se référant à des plans qu'il a trouvé sur internet, il voulait la finaliser et contacter les autorités comme il l'a déjà fait y a quelques années pour la voiture, il avait confiance en son pays… », regrette-t-elle.
En comparant les deux versions, difficile de croire à la thèse de l’hélicoptère drone ou bombardier… Quelques jours auparavant, un jeune concepteur d’un « missile », davantage une fusée fantaisiste, avait également été arrêté à Kasserine.
Depuis la dernière vague d’attentat, un changement de ton notable est observable sur la très consultée page du ministère de l’Intérieur qui soigne son message (dorénavant écrit dans les trois langues) mais tend à verser dans un certain sensationnalisme inquisitoire. Ainsi son administrateur ne parle plus désormais de "suspects" ou de "terroristes présumés", comme toute institution de l'Etat qui se respecte, mais systématiquement de "terroristes". Généralement nous pouvons tout de même lire cette ultime contradiction : "les individus en garde à vue sont en train d'être interrogés"…
Seif Soudani