Tunisie. Les approximations de la présidence de la République

 Tunisie. Les approximations de la présidence de la République

Kais Saïed recevant le rapport annuel de l’INLUCC des mains de Chawki Tabib en 2020

En recevant le 2 septembre des représentants d’organisations de la société civile, dont le bâtonnier de l’Ordre national des avocats, pour justifier une politique pénale et sécuritaire répressive, le président Kais Saïed s’est livré à une nouvelle escalade inquisitoire.

 

En livrant en pâture publiquement l’identité à peine masquée d’épouses d’avocats célèbres faisant l’objet de procédures judiciaires en cours, Carthage se met à dos une partie de l’opinion et des élites du pays pour qui ces pratiques humiliantes et populistes menacent la paix civile et incitent à la vindicte populaire.

« Son épouse, sans activité professionnelle, possède des biens immobiliers à l’Ariana, à La Marsa et à El Fahs, en plus de commerces dans divers quartiers huppés de la capitale. Tout est documenté, je sais comment elle a obtenu sa fortune estimée à 100 millions de dinars », lance Saïed à ses trois hôtes qui ne semblent pas saisir en quoi ils sont concernés par ces allégations présentées sans preuves aucunes, montées dans une vidéo fleuve de plus de 30 minutes.

 

Des sommes extravagantes

« Un autre individu, qui cache des biens mis également au nom de son épouse, a reçu en marge de ses fonctions au sein de l’Etat la somme de mille cinq cent millions de dinars », révèle Saïed dont on sait déjà que ni l’économie ni les chiffres ne sont son fort. Aujourd’hui l’évocation d’une telle somme est devenue la risée des réseaux sociaux où il n’est point nécessaire d’être un expert pour comprendre qu’elle est née du fantasme.

D’où proviennent ces chiffres ? Il semble qu’en sus de groupes Facebook qui s’en étaient récemment fait le relais, c’est le site Athawra News, un blog à la ligne éditoriale ordurière, sorte d’ersatz du Canard enchaîné version tunisienne, qui en est la source. Le 23 août dernier, l’homme d’affaires et député Mehdi Ben Gharbia avait publié un enregistrement audio attestant des méthodes de ce média visant à extorquer de l’argent à ceux qu’il diffame via des campagnes de harcèlement. Au bout du fil, l’un des frères Haj Mansour, propriétaires du site web, qui lui réclame 50 mille dinars en échange du silence du média.

Dans une tribune publiée ce matin vendredi, l’un des avocats auxquels fait allusion le président Kais Saïed, l’ancien président de l’Instance nationale pour la lutte contre la corruption Chawki Tabib, assigné à résidence, explique que le patrimoine de sa femme remonte à des décennies et consiste pour sa majorité en des biens hérités de sa propre famille, et que « leur valeur est très loin d’atteindre les 100 millions de dinars ». Il présente en outre un document qui montre qu’une plainte à ce sujet devant le Pôle financier a été classée sans suites en 2018.

Pour la juriste Mouna Kraïem Dridi, les accusations présidentielles laisseront d’importantes séquelles. « Le flou entourant les vagues allégations dans les discours du président ouvre la porte aux lynchages dans les réseaux sociaux. La diffamation basée sur les spéculations et l’imagination des foules résulte en un ostracisme qui a un impact considérable sur la psychologie des concernés et de leurs familles ».

 

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