Tunisie. L’embarrassant limogeage du ministre de l’Éducation nationale
Le spectaculaire limogeage du ministre de l’Éducation nationale, Mohamed Ali Boughdiri, au soir du 1er avril reste entouré d’une part de mystère. L’inspectrice de l’enseignement, Salwa Abassi, a aussitôt été nommée pour lui succéder.
L’évincement soudain de Boughdiri, 14 mois seulement après sa nomination à cet important département, vient s’ajouter à la longue litanie des limogeages, une liste désormais lourde de 80 noms de hauts fonctionnaires, souvent cooptés par le président Kais Saïed lui-même, dont 10 ministres depuis juillet 2021 choisis par ses soins. En plus d’être un désaveu de ses propres processus de sélection, c’est en somme un remaniement total qui ne dit pas son nom, non sans mépris pour les Tunisiens, car sans la moindre communication claire autour des raisons précises du départ et des désignations des uns et des autres.
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Fidèle parmi les fidèles, Mohamed Ali Boughdiri s’est fait connaître par ses panégyriques à destination du président Saïed, des louanges régulières qui lui ont valu d’être tourné en dérision par les internautes, notamment au gré de la posture servile observée tout au long de la récente consultation sur la réforme de l’éducation, un chantier voulu et dicté par le seul Kais Saïed.
La chaise éjectable du bouc émissaire
Ancien enseignant et syndicaliste affilié à l’UGTT depuis une vingtaine d’années, Mohamed Ali Boughdiri avait surtout été désigné à ce poste le 30 janvier 2023 précisément pour son appartenance à la centrale syndicale, selon de nombreux observateurs à qui n’a pas échappé la manœuvre politique qui a présidé à sa brusque ascension.
A cette époque, aux prises avec l’Union générale des travailleurs tunisiens particulièrement virulente au sein du système éducatif, le chef de l’Etat avait visiblement opté pour la doctrine « diviser pour mieux régner », en recrutant un représentant du camp opposé au secrétaire général de l’UGTT Noureddine Tabboubi. Une politique qui a abouti dans un premier temps au gel par décision ministérielle des salaires des grévistes parmi les professeurs et les directeurs des établissements scolaires publics, un geste décrit par le corps enseignant comme étant une basse besogne menaçant au passage le droit de grève.
Mais l’une des principales missions imparties à Boughdiri était de clore un dossier obsessionnel du président Saïed : celui des faux diplômes et des recrutements illégaux dans le secteur. Engagé en septembre 2023, l’audit du personnel du ministère ainsi que celui du personnel enseignant se révèle être un pétard mouillé. Quelques dizaines de falsifications avérées tout au plus, non significatives, rien de ce qu’on ne soupçonnait déjà.
Objet d’une mesure disciplinaire, selon elle en sa qualité de lanceuse d’alerte, une inspectrice va quant à elle se faire remarquer en contactant personnellement le Palais de Carthage munie de preuves de l’existence de fausses certifications du baccalauréat. Il s’agit de Salwa Abassi, qui se trouve être aujourd’hui la remplaçante de Boughdiri, à la faveur d’une revanche aux allures de règlement de compte qui lui est donc offerte par la présidence de la République. Quelques semaines avant sa nomination, elle avait menacé dans les réseaux sociaux de se suicider, ce qui inquiète certains de ses proches sur sa santé mentale.
Un biais de confirmation va par ailleurs venir conforter le Palais dans ses certitudes : dans les milieux pro Saïed, il se murmure en effet que le ministre ex syndicaliste Boughdiri aurait sciemment voulu épargner les siens, en protégeant les détenteurs desdits faux diplômes. Un alibi commode et imparable pour s’en débarrasser. Dans le logiciel présidentiel fait de héros vertueux et de vils traîtres, la boucle est bouclée. Pour l’administration tunisienne, ce sera un cas de plus de mauvaise gouvernance dans lesquelles les purges se suivent et se ressemblent, à la manière d’un Règlements de comptes à O.K. Corral.