Tunisie. Législatives : un record historique d’abstention
Selon les résultats officiels préliminaires annoncés à la fermeture des bureaux de vote samedi 17 décembre à 18h00, seuls 8,8 % des électeurs tunisiens se sont rendus aux urnes pour participer aux élections législatives anticipées en vue d’élire un nouveau Parlement. Un camouflet pour le chantier présidentiel en vue d’une refonte des institutions.
« Le taux de participation final n’atteindra vraisemblablement pas les 9% », répond lors d’une conférence de presse tenue hier soir Mohamed Tlili Mansri, membre de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), en prenant en compte les trois circonscriptions du sud-est où l’on votait jusqu’à 20h00. A titre de comparaison, les taux de participation enregistrés dans les législatives organisées lors de la dernière décennie étaient de 54,1% en 2011 (élections de la constituante), 69% en 2014, et 41,3% en 2019.
Démission collective et crise de légitimité
La fatigue électorale des Tunisiens, appelés aux urnes beaucoup trop fréquemment ces trois dernières années d’instabilité, explique en partie seulement cette démission collective de la chose politique. Il y a d’abord l’exclusion, devenue boycott, de l’ensemble de la classe politique et des partis par le président de la République Kais Saïed, jusque dans son discours livré à la sortie d’un bureau de vote samedi, au mépris du silence électoral, où il accusait l’opposition de traîtrise et de corruption.
Il y a aussi l’érosion rapide de l’adhésion au processus de table rase enclenché le 25 juillet 2021. Le faible taux de participation (30%) au référendum constitutionnel 1 an plus tard, le 25 juillet dernier, était déjà un « red flag », une sonnette d’alarme adressée au nouveau régime. En bientôt 18 mois de pouvoir absolu, l’édifice du nouveau système autoritaire auquel ces élections sont censées apporter la dernière pierre a en effet été marqué par une inflation record qui flirte désormais avec les 10%, la vie chère, ainsi qu’un isolement croissant du pays sur la scène internationale.
Il y a également la gestion de ces élections par l’actuelle ISIE nommée par le chef de l’Etat lui-même, et qui en optant pour l’enregistrement automatique des Tunisiens a porté le nombre d’inscrits à plus de 9 millions sur une population de 12 millions d’habitants. Statistiquement, cela a eu pour effet de creuser le taux d’abstention relatif à ces 9 millions, seuls un peu plus de 800 mille électeurs ayant fait le déplacement.
Autre facteur expliquant cette désaffection : les candidats (1 055), pour moitié enseignants, fonctionnaires et petits commerçants, sont en grande majorité inconnus, avec moins de 12 % de femmes dans un pays attaché à la parité.
Une nouvelle Assemblée de 161 députés, aux pouvoirs très limités, doit remplacer celle que Kaïs Saïed avait gelée le 25 juillet 2021, arguant d’un blocage des institutions démocratiques issues de la première révolution des Printemps arabes.
Sans sourciller, le président de l’autorité électorale, Farouk Bouasker, explique (vidéo ci-dessus) le dérisoire taux de participation à ces législatives par le changement de mode de scrutin (uninominal) et le fait qu’il s’agit là des premières élections « propres », sans le biais de l’argent politique. « Une insulte aux 91,2% d’abstentionnistes » estime-t-on sur les réseaux sociaux.
Dans un point presse organisé hier soir à 22h00, le Front du salut national, l’une des principales formations coalisées d’opposition, a appelé le président Saïed à « une démission immédiate, tirant les conséquences de ce fiasco électoral qui a dilapidé l’argent public ».