Tunisie. Leadership d’Ennahdha : la guerre de succession fait rage
Initialement prévu pour le mois d’octobre prochain, le 11ème congrès du parti islamiste, en pleine tourmente et muselé par le pouvoir, semble être désormais une lointaine chimère tant les luttes fratricides en son sein rendent la tenue de l’évènement impensable.
Théoriquement, l’emprisonnement depuis avril dernier de Rached Ghannouchi ainsi que d’autres leaders du mouvement Ennahdha ne constitue pas un obstacle contre l’organisation du congrès : dans les années 80, le parti s’était déjà en effet accommodé de l’incarcération de ses dirigeants pour tenir l’un de ses plus importants congrès.
Actuel président par intérim du mouvement Ennahdha, Mondher Ounissi, médecin discret propulsé à ce poste de façon quasi accidentelle, sans faire l’unanimité des bases, comptait même sur ce congrès pour lancer un vaste chantier de réforme du parti, sous le signe du mea culpa et du dialogue avec les autorités. Une docilité qui a attisé la guerre des clans nahdhaouis entre réformateurs modérés et radicaux soupçonnant Ounissi de proximité cachée avec le régime de Kais Saïed.
C’est précisément dans ce climat délétère qu’ont émergé ces dernières 48 heures plusieurs leaks compromettants de conversations téléphoniques entre Mondher Ounissi et la sulfureuse journaliste Chahrazed Akacha.
Collusion endémique entre presse et hommes politiques
On y découvre ainsi une étonnante complicité entre le dirigeant nahdhaoui et l’éditorialiste pourtant connue pour avoir notamment animé durant plusieurs années le site tabloïd Tanit press, un média connu pour sa ligne anti islamiste virulente.
Ces dernières années, Akacha est passée du statut de commentatrice du fait politique à actrice à part entière de la vie politique, à l’image d’autres femmes officieusement influentes telles que Maya Ksouri, elle-même objet de fuites audio où elle fait et défait les carrières de ministres.
Mais la facilité déconcertante avec laquelle Chahrazed Akacha a infiltré le mouvement interroge aujourd’hui sur ce que certains qualifient d’état de décadence avancée d’Ennahdha. Car en clair, Mondher Ounissi est politiquement fini, malgré ses démentis confus, maladroits, et non convaincants sur l’authenticité desdits leaks.
L’homme sait qu’au-delà de ses propos où il commandite des plans de campagne de dénigrement de ses adversaires politiques y compris au sein de son propre parti, le registre ordurier dans lequel il verse au cours de cette conversation, tout comme les profanités et le langage fleuri qu’il y utilise lui l’homme supposément puritain et conservateur, ont eu raison de sa crédibilité de façon définitive.
Dans une vidéo de 40 minutes où elle revient sur cette affaire, l’éditorialiste Akacha, exilée à l’étranger, explique qu’elle a recueilli les propos de Mondher Ounissi pour les besoins d’un livre d’enquête sur « les dessous du coup d’Etat du 25 juillet 2021 », et se défend d’avoir été derrière ces fuites, puisqu’elle tiendrait en horreur de façon égale le régime Saïed et l’ancienne garde islamiste.
Soucieux de calmer les esprits, l’ancien ministre et gendre de Ghannouchi, Rafik Abdessalem, s’est fendu d’un statut le 4 septembre pour démentir également être l’auteur des leaks, bien qu’à l’évidence le camp des pro Ghannouchi est de facto le plus grand bénéficiaire de l’affaiblissement du camp dit réformateur incarné par Ounissi.
A la crise politique et logistique à laquelle Ennahdha est confronté depuis que le pouvoir a fait fermer l’ensemble de ses locaux dans le pays, le parti fait face dorénavant à une crise supplémentaire, de nature éthique cette fois : la feuille de vigne est tombée sur l’intégrité morale de ses leaders, ce qui pour un parti à référentiel religieux sera bien plus difficile à surmonter que toute autre crise.
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