Tunisie. Le Tribunal administratif suspend la révocation d’une cinquantaine de juges
C’est un coup de tonnerre politico-judiciaire : sur les 57 magistrats brutalement révoqués par le président de la République Kais Saïed en juin dernier, le Tribunal administratif a réintégré 49 d’entre eux. « Une victoire de l’Etat de droit » pour l’opposition et la société civile pour qui l’Etat résiste au despotisme en gestation.
A l’issue de l’examen de l’intégralité des dossiers de recours suspensifs de l’exécution du décret présidentiel qui ne prévoyait pourtant, dans le texte, aucun recours autre qu’un jugement pénal définitif, le Tribunal administratif a donc rendu aujourd’hui des arrêts de suspension d’exécution de dizaines de décisions de révocation qui avaient été prises, début juin, à l’encontre de 57 juges, dont de hauts magistrats.
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L’information a été annoncée mercredi par le porte-parole du Tribunal administratif, Imed Ghabri. Il explique que le premier président du Tribunal s’est basé en rendant son jugement « sur les résultats des procédures d’enquête qu’il a ordonnées et après avoir demandé aux autorités administratives concernées les éléments justificatifs et la motivation de chacune des décisions de révocation ». Il y a deux mois, le Palais de Carthage avait en effet justifié ce limogeage historique de magistrats par l’exécutif notamment par des soupçons de corruption.
Or, « le traitement judiciaire des dossiers de révocation a été effectué en fonction des spécificités de chaque cas », explique aujourd’hui le Tribunal administratif. Son porte-parole a par ailleurs fait état de deux types de jugements rendus par le Tribunal à propos de cette affaire, citant les arrêts prononçant la suspension des décisions de révocation des magistrats pour « défaut de motif de droit et de fait les concernant ». « S’agissant des décisions de révocation motivées, prises à l’encontre des autres magistrats, elles ont été rejetées par le tribunal, dès lors que les motifs de la révocation sont bien fondées », a ajouté Ghabri.
Une victoire partielle en dépit de sa portée symbolique
Pour le front unifié de l’opposition, la décision du Tribunal administratif, aussi réjouissante et courageuse soit-elle, n’est toutefois pas dénuée d’incohérence. Le Tribunal admet et reconnaît ainsi implicitement que le pouvoir exécutif, en la personne de Saïed, était légitime et légal dans sa démarche d’ingérence directe dans le corps judiciaire, en vertu de l’état d’exception.
Fin juin dernier, 54 juges concernés par la révocation avaient saisi la juridiction pour « abus de pouvoir », en vue de l’annulation du décret présidentiel n°516 qui avait alors suscité une vague d’indignation et résulté en une grève de plus d’un mois à l’appel des syndicats de la magistrature, assortie de plusieurs grèves de la faim.
Déjà affaiblie, la ministre de la Justice Leila Jaffel que l’on dit en coulisses en froid avec Carthage, pourrait payer le prix fort cet échec retentissant dans « l’assainissement de la magistrature » par une démission imminente.
En Tunisie, le Tribunal administratif jouit d’une aura historique qu’il doit à quelques hauts faits d’armes, dont la célèbre invalidation d’une décision de licenciement d’une enseignante du secondaire pour port du voile, en 2007, ordonnant sa réintégration et le versement d’une année de salaire. Cela avait créé une jurisprudence en matière de droit civil, en pleine période de dictature de l’ancien président Ben Ali.
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