Le style Essebsi, entre hyperprésidence et maladresses
En trois évènements consécutifs chargés de toutes sortes de solennités : la commémoration du décès de Bourguiba, la visite d’Etat en France, et la célébration des martyrs, la séquence du 6 au 9 avril 2015 a donné à voir un aperçu de ce dont sera fait le mandat présidentiel de Béji Caïd Essebsi en termes de communication, mais aussi d’idéologie.
Accompagné par son fils Hafedh Caïd Essebsi devançant protocolairement le gouverneur de Monastir, le président de la République s’était rendu le 6 avril à ce qui fut l’un de ses rendez-vous électoraux favoris, pour la première fois en tant que président : le mausolée d’Habib Bourguiba.
Fait rare depuis les années 80, surplombant la parade militaire, le portrait géant du « combattant suprême » état de sortie pour l’occasion. Une fois de plus l’analogie frôle le déguisement, diront les détracteurs du culte voué au bourguibisme. Ces derniers n’intimident visiblement pas les artisans de la communication présidentielle qui persistent et signent.
Deux jours plus tard, lors d’une conférence consacrée à la pensée bourguibienne, Mohsen Marzouk a réitéré son souhait de restaurer les statues de l’ancien leader à leur place, y compris Place du 14 janvier. Une place certes affublée d’une horloge au design discutable, mais un lieu associé depuis 2011 à la révolution, qui renouerait ainsi avec le symbole de la nostalgie.
Objet d’articles laudatifs, l’idéologue de la présidence est aussi derrière le nouveau format d’onéreux spots vidéo à la gloire du locataire de Carthage, réalisations qualifiées par le blog la Kasbah de « lénifiantes », tant les mises en scène y sont méticuleuses et la musique quelque peu pompeuse.
La visite d’Etat en France, risée des chroniqueurs
Les prestations présidentielles se font cependant moins reluisantes dès lors qu’il s’agit d’improviser. Le 7 avril, le pouvoir socialiste français offrait à Béji Caïd Essebsi, pour la première visite d’Etat de son mandat, le nec plus ultra des honneurs en la matière.
Mais celui que d’aucuns qualifient de vieux renard de la politique tunisienne a parfois fait figure de novice : déclamation laborieuse lors du toast à l’Elysée, formulations pas très heureuses telles que « l’interpénétration de la jeunesse de part et d’autre de la méditerranée » et les femmes « qui doivent à Bourguiba l’honneur d’être assises à cette table », ou encore les gestes gauches faisant tomber un verre en fin de discours.
Un festival qui fait notamment le bonheur du Petit Journal de Canal+, mais qui amuse moins des chroniques plus sérieuses telles que celle d’Olivier Ravanello. Celui-ci revient plus en détail sur les caprices d’Essebsi qui ne sont pas sans rappeler certains aspects d’une autre illustre visite d’Etat, celle de Kadhafi durant l’ère Sarkozy.
En France, le nouveau président tunisien répétera une fois de plus à qui veut bien l’entendre cette rengaine selon laquelle « il n’y a pas de printemps arabe ». Quoique les évènements au Yémen lui donnent raison, l’affirmation découle moins d’un pessimisme révolutionnaire que d’un credo restaurateur d’un ordre ancien, comme en témoigne la présence de certains invités dé Béji Caïd Essebsi à l’Elysée dont Hassen Chalghoumi et Marek Halter.
Un secrétariat d’Etat à la propagande ?
Hier 9 avril, Majdouline Cherni, secrétaire d’Etat aux Affaires sociales chargée du dossier des martyrs et blessés de la révolution, accordait un long entretien à Express FM dans lequel elle a annoncé la révision de la liste des martyrs, tout en révélant le coût des indemnisations de leurs familles par l’Etat tunisien : 87 millions de dinars.
Une somme considérable dans l’absolu, dérisoire si l’on considère les centaines de concernés ou en comparaison avec ce que coûtent chaque année les accidents du travail.
Le même jour, c’est encore la marque de Mohsen Marzouk que portent les festivités du 9 avril. Alors que ces trois dernières années, les trois présidences du gouvernement, de l’Assemblée et de la République saluaient ensemble le mémorial des martyrs, c’est seul, devançant le ministre de la Défense, que Béji Caïd Essebsi est apparu, tel le chef unique de l’exécutif dans un authentique régime présidentiel.
Seif Soudani