Le « projet de loi cadre des instances », prochaine bataille menée contre la Constitution tunisienne
De source gouvernementale, on vient d’apprendre que le projet de loi cadre relatif aux instances constitutionnelles indépendantes, piloté par Kamel Jendoubi, sera fin prêt en mars prochain pour être transmis à l’Assemblée des représentants du peuple pour examen et adoption. Déçu par le rejet général de son projet de loi de réconciliation économique, le pouvoir exécutif n’en démord pas et revient donc à la charge, avec une loi qui fait l’inverse de ce qu’elle dit.
« Ce projet permettra de mettre en évidence les points communs des différentes instances prévues dans la nouvelle Constitution, bien que chacune de ces structures dispose d’un statut particulier », a dit Kamel Jendoubi, ministre chargé des Relations avec les Instances constitutionnelles, la Société civile et les Organisations des droits de l’Homme, en marge de sa participation à la consultation sur le projet de loi.
Première levée de boucliers des instances concernées et des victimes de la dictature
Selon le juriste et président de l’ISIE Chafik Sarsar, le projet de loi risque de poser « des réserves et des questionnements » lors de sa mise en œuvre, à l’instar de la situation créée lors de l’application du texte organisant l’Instance supérieure indépendante pour les élections, a-t-il mis en garde, appelant à la révision de la formulation (nom du projet de loi) et de la définition de la terminologie utilisée dans le texte de loi.
Pour Nouri Lajmi, président de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), « le projet revêt certains aspects positifs dans la mesure où il permet aux instances de disposer d’une identité et d’organiser leurs activités. Ce texte pose aussi toutefois certaines problématiques « importantes sans être fondamentales » concernant le remplacement des présidents des instances ou les procédures de nominations dans les postes vacants.
Colère des associations de victimes du despotisme
Lamia Farhani, sœur du martyr Anis Farhani et présidente de l'Association des familles des martyrs et des blessés de la révolution tunisienne « Awfia », déplore par ailleurs dans l’entretien ci-dessus la multiplication des intervenants dans le dossier des martyrs et blessés de la révolution. Selon l’avocate, cela correspond à une volonté délibérée d’éparpiller leurs dossiers avec de la bureaucratie supplémentaire, d’autant que la majorité des dossiers concernés ont déjà été déposés auprès de l’Instance Vérité et Dignité.
La création le 5 février dernier d’un « Comité général des martyrs et des blessés de la révolution ainsi que des victimes des attaques terroristes », placé sous l’égide du ministère de Jendoubi, avec à sa tête la même ex secrétaire d’Etat Majdouline Cherni, sœur d’un policier martyr du terrorisme, procède quant à elle d’un acharnement à lier les deux dossiers de la révolution et du terrorisme, via un subtil révisionnisme idéologique et historique.
Plus généralement, après la présidentialisation du système de gouvernance tunisien post élections de 2014, il semble que le nouveau pouvoir ait décidément du mal à digérer cet avant-gardiste contre-pouvoir démocratique que sont les instances constitutionnelles, censées réguler la gouvernance et empêcher tout retour à l’autoritarisme, précisément par leur caractère indépendant.
Comment comprendre autrement cette volonté politique de harceler le travail des instances et celui de la justice transitionnelle, au nom de leur « encadrement », à travers une batterie de lois qui contreviennent à l’esprit de la deuxième Constitution, et tentent à tout prix de remettre des mécanismes indépendants, loués par la communauté internationale, sous la tutelle d’un pouvoir à nouveau centralisé…
S.S