Tunisie. Le président Saïed limoge son ministre de l’Economie

 Tunisie. Le président Saïed limoge son ministre de l’Economie

Samir Saïed avait été nommé à ce poste le 11 octobre 2021

La fièvre des limogeages continue de plus belle en Tunisie où le président de la République Kais Saïed, qui centralise tous les pouvoirs, a abruptement décidé hier soir mardi 17 octobre de se séparer du ministre de l’Economie et de la planification. Une éviction inexpliquée d’une pièce maîtresse pourtant du dispositif gouvernemental qu’il a lui-même mis en place. Décryptage.

Dans un bref et laconique communiqué publié sur sa page officielle du palais de Carthage, la présidence a indiqué que le chef de l’Etat a ainsi « décidé de mettre fin aux fonctions du ministre de l’Economie et de la planification Samir Saïed », en poste depuis deux ans, sans se donner la peine de donner plus de détails. C’est la ministre des Finances, Sihem Boughdiri, qui est chargée d’assurer « provisoirement » son intérim, ajoute la même source.

Or, tout observateur du mode de gouvernance atypique de Kais Saïed, qualifié d’impulsif par ses détracteurs, sait que les ministres, diplomates, gouverneurs et autres dignitaires limogés de façon brutale en grand nombre ces derniers mois, restent souvent non remplacés à leurs postes vacants respectifs. Nos confrères de Business news qui dressent une liste non exhaustive de ces évictions en dénombre plus d’une centaine depuis 2021. De grands ministères tels que celui de l’Emploi demeurent sans ministre depuis de longs mois, tout comme de grands gouvernorats sans gouverneur à l’instar de Tunis et Sfax, ou encore des ambassades aussi stratégiques que Rome et Paris.

 

Un ministre trop autonome ?

En l’occurrence, le cas de Samir Saïed est un cas d’école de siège éjectable en régime autoritaire. Le président Saïed avait en effet récemment houleusement recadré le ministre concerné lors de sa convocation le 5 octobre 2023 au Palais. Lors de cette entrevue, Kais Saïed avait affirmé tout en allusions que « l’économie doit être une économie nationale et que la planification doit également être une planification nationale, et que la Tunisie ne se soumettra à aucun diktat de l’étranger ».

Le président de la République avait également fait remarquer que « l’État n’est pas une institution bancaire et ne peut pas être géré selon la logique des banques et des entreprises commerciales. Il a ajouté que la dignité humaine ne peut pas être réduite à une action en bourse ou à une entreprise ».

Mais à quoi au juste faisait référence ces vagues propos aussi souverainistes que poético-révolutionnaires ? Cette convocation intervenait en plein déclenchement d’une crise diplomatique larvée entre la Tunisie et l’Union européenne, 24 heures après le leak par l’UE via le Commissaire européen Oliver Varhelyi d’une lettre signée par le ministre tunisien de l’Economie demandant le déboursement d’une aide de 60 millions d’euros.

Un document embarrassant pour le narratif présidentiel, côté tunisien, qui venait d’expliquer que le pays refusant « la charité » européenne, avait décliné cette somme.

Ethiquement discutable, le leak est toutefois manifestement sorti de son contexte par les Européens, en marge d’une guéguerre des communiqués entre Tunis et Bruxelles, après que le chef de tout l’Etat tunisien ait refusé de passer à l’application du mémorandum sur la migration clandestine.

 

La déclaration de trop

Cet incident début octobre n’explique pas à lui seul néanmoins le limogeage de Samir Saïed. Par manque de coordination avec le président de la République lui-même resté longtemps ambigu sur sa volonté ou non de se plier aux conditions du Fonds monétaire international pour le déblocage d’un prêt, l’ex ministre tunisien de l’Economie avait livré plusieurs déclarations en rapport avec « la nécessité du recours au FMI ».

Ayant récidivé dans ce type de déclarations contraires à la politique présidentielle qui considère désormais ouvertement que la Tunisie « doit compter sur ses propres ressources sans avoir à se soumettre aux diktats des institutions financières internationales », visiblement la coupe était pleine pour Kais Saïed.

Ce limogeage s’effectue cependant au moment où le pays traverse une profonde crise économique et financière sans précédent, où le taux d’inflation se stabilisait à 9,3% en août et où la croissance au deuxième trimestre n’a pas dépassé 0,6%, selon des statistiques officielles qui font état d’une dette équivalente à environ 80% du PIB.

Elle-même un temps pressentie partante, c’est à Sihem Boughdiri qu’incombe dorénavant le lourd legs du cumul des deux ministères des Finances et de l’Economie pour une période indéterminée qui ne fait qu’ajouter au manque de visibilité de l’agenda gouvernemental.

 

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