Tunisie. Le président Saïed limoge ses ministres de l’Intérieur et des Affaires sociales
Tard dans la nuit de samedi à dimanche 26 mai 2024, un remaniement ministériel partiel effectué par le président de la République Kais Saïed a eu raison du ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, ainsi que du ministre des Affaires sociales, Malek Ezzahi. Il s’agit d’un mini séisme politique eu égard à l’envergure de ces deux personnalités considérées comme étant deux piliers fidèles parmi les fidèles du régime, sans doute les deux figures les plus proches du chef de l’Etat.
Peu d’informations ont filtré sur les raisons exactes de ce chambardement inattendu au sommet de l’Etat, mais un faisceau d’indices laisse à penser qu’il a été décidé une fois de plus sous l’effet du courroux présidentiel. Ainsi en plein weekend, peu avant minuit, les deux hommes sont convoqués pour leur signifier leur sort. Pour qui connaît le style brutal et le modus operandi généralement humiliant des innombrables évictions opérées par Kais Saïed, ce dernier a en réalité fait une exception en prenant la peine de recevoir les deux ex ministres concernés. Quoique là aussi l’ancienne formule consacrée durant les mandats de ses prédécesseurs à Carthage « seront appelés à d’autres fonctions », n’est pas non plus utilisée en l’occurrence.
Quelles implications politiques ?
Ce traitement exceptionnel de l’entretien d’adieux au Palais tient moins aux hauts rangs respectifs des deux évincés qu’à leur proximité humaine et idéologique avec le président Saïed. Car après bientôt cinq années de mandat présidentiel, on pourrait clairement distinguer entre deux principaux types de profils nominés par l’atypique président sans appareil de parti, arrivé au pouvoir directement après sa retraite des bancs des facultés de droit.
La première catégorie consiste en de simples profils techniques auxquels il a recours par cooptation, la seconde est dans le cas de l’espèce celle des rares compagnons de route du président, sortes d’apôtres porteurs du projet présidentiel désormais dit du « processus du 25 juillet ». A l’instar du charismatique Kamel Feki, un homme au passé syndicaliste et époux de Sonia Charbti grande amie personnelle de Kais Saïed, l’une des exégètes radicales du « message » saïdiste. En cela, la nomination de Feki, un homme de confiance propulsé à la « dékhiliya » en mars 2023 était déjà annonciatrice d’un durcissement du pouvoir.
Il en va de même pour Malek Ezzahi, en poste depuis octobre 2021, ancien militant de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) puis de la LTDH, et surtout l’un des organisateurs des sit-in Kasbah 1 et Kasbah 2 au lendemain de la révolution de 2011. Cet ex directeur de la campagne électorale du président Kaïs Saïed en 2019 dans la circonscription de la Manouba avait également participé à la coordination des négociations entre le gouvernement Mechichi, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), et les organisations de la société civile et la présidence de la République. Ezzahi fut même un temps pressenti à la présidence du gouvernement.
En remerciant ces deux derniers lieutenants, sur fond d’ « atmosphère générale de paranoïa des complots » dixit l’opposition, le président Saïed parachève en somme une longue série de limogeages (en sus d’une centaine de commis de l’Etat) qui aura fini par créer le vide autour de lui, ce qui accentue un certain isolement à quelques encâblures maintenant du scrutin présidentiel.
Vendredi, des centaines de manifestants à Tunis, en majorité des jeunes, ont scandé « à bas la dictature ! » et « ton tour est venu » dans les rues de Tunis et dénoncé « un retour sous couvert populiste à un Etat policier »… Une escalade inédite en terme de contenu des slogans faisant suite à une série d’arrestations récentes dans les rangs de militants des droits humains, des avocats et des journalistes.
Des CV plutôt succincts
S’agissant des nouvelles personnalités qui entrent au gouvernement, Khaled Nouri, un technocrate connu pour sa fermeté, nommé ministre de l’Intérieur en remplacement de Kamel Feki, occupait jusqu’à présent le poste de gouverneur de l’Ariana, et ce depuis le 6 juin 2022.
Quant à Kamel Maddouri, nommé ministre des Affaires sociales en remplacement de Malek Ezzahi, il est l’ancien PDG de la Caisse nationale d’Assurance-Maladie (CNAM) où il avait été désigné en février 2023 où il avait été promu après un passage à la direction de la sécurité sociale.
Nommé secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur chargé de la Sécurité nationale, Sofien Ben Sadok est magistrat auprès de la Cour de cassation, un CV qui atteste de la propension de Saïed à nommer des juristes à toutes sortes de postes y compris sécuritaires. Il aura à charge d’épauler Khaled Nouri à l’Intérieur. Les trois hommes ont aussitôt prêté serment devant le président de la République au palais de Carthage.