Tunisie. Le président Saïed dissout les conseils municipaux

 Tunisie. Le président Saïed dissout les conseils municipaux

Le président de la République Kaïs Saïed a décidé le 9 mars la dissolution prochaine des conseils municipaux, par décret, profitant des tous derniers jours avant la séance inaugurale du nouveau Parlement. Formés en 2018 et considérés comme un acquis important de la jeune démocratie tunisienne après la Révolution de 2011, ces conseils sont incompatibles avec le projet idéologique présidentiel. Décryptage.

 

Dans une vidéo diffusée comme souvent en pleine nuit, Saïed a annoncé l’examen à venir d’une loi sur « la dissolution de tous les conseils communaux du pays et leur remplacement par des délégations spéciales », une appellation qui renvoie typiquement à une phase de gouvernance transitoire.

 

Pas moins de 350 maires concernées

Les mandats des 350 maires et conseillers municipaux, actuellement en place, devaient expirer fin avril, et des élections étaient théoriquement prévues dans la foulée. Or, ces conseils municipaux sont issus pour la majorité du scrutin législatif de 2018 qui avait été marqué par la victoire de listes indépendantes (elles-mêmes annonciatrices du phénomène de boycott des partis politiques qui allait porter Kais Saïed au pouvoir), suivies du parti d’inspiration islamiste Ennahdha, désormais la bête noire de Kaïs Saïed, puis du parti d’inspiration destourienne feu Nida Tounes.

Cependant de nombreux conseils municipaux avaient ensuite plongé dans d’importants conflits internes, ce qui avait abouti à plusieurs scrutins partiels ces cinq dernières années, même si cela n’est pas la principale raison derrière le projet de dissolution annoncé hier. Kaïs Saïed a en effet annoncé deux projets de loi concernant ces conseils : l’un « concernant la révision de la loi sur l’élection des conseils communaux », l’autre « concernant la loi pour l’élection des membres de la future Assemblée des régions ».

Au cœur du chantier présidentiel de « reconstruction par la base », sorte de centralisation du pouvoir sous couvert de gouvernance participative locale, ce dispositif est censé parachever le système dit « bicaméral » que Saïed veut instaurer, sur la base d’une nouvelle Constitution votée par référendum à l’été 2022. Le nouveau Parlement, dont les prérogatives sont fortement allégées en vertu de cette Constitution, sera constitué de deux chambres : l’Assemblée des représentants du peuple et l’Assemblée des régions.

Pour rappel, Kaïs Saïed s’est octroyé tous les pouvoirs le 25 juillet 2021, en limogeant le chef du gouvernement et gelant le Parlement, dissous par la suite. Organisées en décembre et janvier, les élections législatives pour désigner les députés ont été marquées aux deux tours par une abstention record (près de 90% des votants) et qualifiées par conséquent par l’opposition d’« illégitimes ».

« Nous continuerons à marcher vers la victoire », a martelé Kaïs Saïed dans son discours face à des ministres muets, avant de s’en prendre une nouvelle fois à ses opposants politiques dont beacoup sont aujourd’hui sous les verrous. « Ils manifestent librement et prétendent qu’il y a de la tyrannie alors qu’ils défilent sous la protection de la police… Ils veulent jouer les victimes », a-t-il renchéri. « Cette présidence utopiste ne sait que démolir », « c’est une force de démolition arbitraire, sans réel projet alternatif de reconstruction », rétorque l’opposition.

Abrogée par Kaïs Saïed, la Constitution de 2014 avait consacré le principe de la décentralisation de l’Etat, considéré comme un acquis crucial par la société civile et les multiples partis politiques nés après la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali il y a 12 ans. Mais avec le retour dorénavant de l’hyper présidence à la faveur d’un régime dit « majalissi » inspiré notamment de l’ancienne Jamahiriyya en Libye, les encombrants conseils municipaux aux affiliations pluralistes n’avaient plus lieu d’être.