Tunisie. Le président Kais Saïed dissout le Parlement

 Tunisie. Le président Kais Saïed dissout le Parlement

Une annonce faite en présence notamment des chefs d’Etat-Majors des armées

Le président tunisien, Kais Saïed, a déclaré mercredi soir 30 mars qu’il avait décidé de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple qu’il avait déjà suspendue depuis l’été dernier. Une annonce qui représente un nouveau palier dans l’escalade de la grave crise politique que vit le pays depuis 8 mois.

 

La Tunisie se réveille jeudi officiellement sans pouvoir législatif. Retransmise par le Journal télévisé de 20h00 de la télévision publique, la mesure présidentielle qualifiée d’« inconstitutionnelle » par une majorité d’élus du Parlement est survenue après que le ministre de la Justice ait ordonné l’ouverture d’une enquête contre des députés, accusant ces derniers de « conspiration contre la sécurité de l’État ». « J’annonce aujourd’hui en ce moment historique la dissolution de l’Assemblée afin de préserver l’État et ses institutions, et pour préserver le peuple tunisien », a déclaré Kais Saïed en introduction d’une allocution de 13 minutes où il est apparu aussi solennel que furieux.

 

Plongée dans l’inconnu

Auto investi de tous les pouvoirs, Kaïs Saïed, réunissait le Conseil de sécurité nationale pour la deuxième fois en trois jours, quelques heures après que 120 députés aient bravé sa suspension du Parlement en organisant une séance plénière par visio-conférence. Interdits d’accès au Palais du Bardo par un véhicule blindé, les élus ont voté à une majorité de 116 voix (sur un total de 217) l’annulation de l’état d’exception décrété unilatéralement depuis le 25 juillet 2021, estimant que cette mesure « illégale » n’a que trop duré. La séance était présidée par Tarek Fetiti, vice-président du Parlement, un indépendant.

Rappelons que le 22 septembre 2021, le président de la République avait officialisé ses pleins pouvoirs par des « mesures exceptionnelles » qui prolongeaient sine die le gel du Parlement, avant de fixer une feuille de route sous la pression nationale et internationale qui fixe théoriquement des élections législatives au 17 décembre 2022. Entre-temps, le président légiférait par décrets-lois.

Problème : la Constitution de 2014, dont l’essentiel était paradoxalement suspendu par le même président Saïed, et qu’il invoque dans son article 72 pour dissoudre l’Assemblée, impose d’organiser des élections anticipées dans les trois mois suivant une dissolution. « On vit un extraordinaire paradoxe. Violation de L’article 72 de la constitution, celui-là même qui impose le respect de la Constitution », s’indigne un éditorialiste.

Dans une phrase sibylline prononcé en marge de son discours d’hier soir, le président Saïed a indiqué que des élections auront bien lieu, mais que « ceux qui ont mis en péril sûreté et la continuité de l’Etat ne sauraient y prendre part ». Les spéculations vont bon train ces dernières heures sur les desseins d’arrestation de masse de députés ayant participé à la plénière de mercredi, ce qui selon plusieurs observateurs menacerait la paix civile.

 

Imbroglio politico-légal

Au sein de la blogosphère opposée aux mesures présidentielles, certains estiment que Carthage est « tombé dans le piège ainsi tendu par les parlementaires ». Adepte d’un certain légalisme formel malgré l’inconstitutionnalité manifeste des mesures du 25 juillet dernier, le président Saïed s’était en effet interdit jusqu’ici de dissoudre ouvertement le Parlement, même si l’institution était de facto en cessation d’activité et de prérogatives. Seul l’exécutif, détenteur de la force armée, pouvait encore légiférer. Mais pour le Palais de Carthage, il s’agissait notamment de donner des gages d’un semblant de survivance d’une vie démocratique à l’adresse du reste du monde. Un alibi qui vole en éclats avec la dissolution désormais officielle de l’Assemblée.

« Les mesures exceptionnelles prises par Kais Saïed bloquent le processus démocratique et n’ont pour but que l’instauration du pouvoir et de l’étrange projet d’un seul homme », arguent les députés. Difficile dans ces conditions de tension socio-politiques de présager de quelconques campagnes électorales ou de l’issue du calendrier initial en vue d’élections d’ici la fin 2022.

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