Tunisie. Le pouvoir confronté à la révolte des magistrats
Suite à la convocation de son Assemblée nationale en session d’urgence samedi 4 juin 2022, l’Aassociation des magistrats tunisiens (AMT), principal organe syndical de la magistrature, a invité la soixantaine de magistrats révoqués par le dernier arrêté présidentiel à prendre à témoin les Tunisiens en prenant publiquement la parole.
Fait rare en soi, cette prise de parole de juges hommes et femmes dont plusieurs en pleurs, sous le coup de l’émoi et de l’impuissance, sonne une révolte inédite en Tunisie d’un corps contraint à un silence qui en fait la deuxième grande muette, en sus de l’armée.
Les juges présents à l’Assemblée nationale, dont de jeunes juges mais aussi certains de hauts magistrats avec plusieurs décennies de carrière, ont scandé en chœur notamment le slogan : « La justice est indépendante, non à la soumission, non aux regrets ! », « Libertés, libertés, pas d’instructions ! », pour exprimer leur contestation de la récente révocation brutale, le 2 juin, de 57 juges.
Une éviction synonyme de mise à mort sociale et professionnelle
Apparu visiblement ému devant les médias nationaux lundi, le président de l’AMT, Anas Hmaidi, a éclaté en sanglots en direct, appelant le président de la République à revenir sur sa décision pour « le salut de la Tunisie ». Hmaidi a estimé que les magistrats avaient jusqu’ici fait preuve de beaucoup de retenue, respectant leur devoir de réserve. « Le président de la République a piétiné le Conseil supérieur de la magistrature, une institution légitime et constitutionnelle, pour le remplacer par un conseil provisoire, qu’il avait lui-même désigné… Ce conseil provisoire a d’ailleurs subi le même sort, allez comprendre ! Aujourd’hui, il massacre 57 magistrats et à travers lesquels c’est en réalité toute la justice de notre pays qui est massacrée », s’indigne-t-il. Des juges à peine remis des révocations décidées en 2012 par un ancien ministre de la Justice d’Ennahdha, Noureddine Bhiri, à l’époque restitués par le Tribunal administratif, un ultime recours interdit en l’occurrence par Carthage.
« L’intention n’est nullement de réformer, ajoute le président de l’AMT. L’objectif premier est la mainmise sur la justice. La ministre de la Justice est notre confrère, n’a-t-elle pas d’égard pour son statut d’ancienne juge ? Les gens changent une fois au pouvoir. La loi sera appliquée à tous, et la ministre sera à leur tête », a-t-il conclu, le ton menaçant, avant de rappeler que les décisions de révocation n’ont pour base, pour plus de la moitié de la liste, que de simples ragots ou de la délation sans preuves. « La réputation de ces personnes est jetée en pâture sur les réseaux sociaux, radiés, ils ne peuvent plus exercer ni nourrir leur familles », regrette Hmaidi. Dimanche, le blogueur Ben Arfa, résident en Suisse et soutien du Palais, avait rendu public des documents d’une enquête pour adultère visant l’une des juges révoquées. Cette dernière a démenti en affirmant être victime d’une vengeance personnelle de la part d’une membre de la famille du chef de l’Etat.
L’Association des magistrats tunisiens a par ailleurs décidé l’observation d’une grève d’une semaine, à compter de lundi, renouvelable. Son numéro 1 a rencontré dans la soirée du 6 juin le secrétaire général de la centrale syndicale UGTT, Noureddine Taboubi. Le président de la République Kais Saïed a de son côté convoqué la ministre de la Justice Leila Jaffel, également ce soir, pour lui demander de ne pas rémunérer toute journée d’absence ces grévistes, estimant qu’ils nuisent aux intérêts des contribuables tunisiens.