Tunisie. Le Parlement vote en faveur de l’amendement de la loi électorale
Objet d’une grande controverse, une séance plénière tendue dédiée à l’examen en urgence du projet de loi amendant la loi électorale s’est ouverte vendredi au Parlement, en présence de 136 députés. Elle se solde par un vote à la quasi-unanimité, la loi ayant finalement été adoptée à 116 voix pour, 12 contre, et 8 abstentions. « Une journée noire pour la démocratie » estiment des opposants qui manifestaient aux abords du Palais du Bardo, à dix jours du scrutin présidentiel.
Dans son allocution inaugurale, le président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), Brahim Bouderbala, a déclaré avoir reçu tard dans la nuit de jeudi l’avis du Conseil provisoire de la magistrature et l’a remise à la commission de législation générale. Cet amendement d’une loi organique devait pour rappel recueillir la majorité absolue des voix, soit 81 députés, conformément à l’article 116 du règlement intérieur de l’ARP.
Le même Bouderbala a coupé l’intervention de l’un des députés qui a voulu rappeler en pleine séance les paroles du président de la République Kais Saïed, qui lorsqu’il n’était pas encore au pouvoir citait Charles de Gaulle pour signifier que tout amendement d’une loi électorale, l’année d’une élection, revenait à assassiner la démocratie :
Le texte en question porte sur l’amendement de pas moins de 21 articles de la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et aux référendums : il prévoit de revoir les procédures de recours contre les décisions de l’instance électorale relatives aux candidatures à l’élection présidentielle. Or, ce vote intervient dans le contexte d’un bras de fer entre le Tribunal administratif et l’instance en charge des élections, cette dernière ayant refusé d’appliquer le jugement réinstaurant les candidatures de trois prétendants à la magistrature suprême.
« Une loi sur-mesure »
Cette initiative législative proposée par un groupe de 34 députés à l’Assemblée retire ainsi au Tribunal administratif ainsi qu’à la Cour des comptes leur compétence sur les questions électorales et la confie respectivement à la Cour d’appel et la Cour de cassation. Ces dernières semaines, des médias pro pouvoir avaient ébruité le fait que la composition du Tribunal administratif ne garantissait plus des verdicts équitables, certains de ses magistrats ayant des liens familiaux avec d’actuels prisonniers politiques.
Les modifications législatives concernent également l’annonce de la liste des candidats retenus, le financement et le contrôle de la campagne, les infractions financières et électorales, les contentieux des résultats et les crimes électoraux.
Pour la partie initiatrice, cet amendement a été « dicté par l’attisement de la crise entre l’instance électorale et le Tribunal administratif ». Les députés reconnaissent ainsi leurs motivations liées à l’actualité récente, estimant que les déclarations menaçant le processus électoral et la paix sociale faites par certains juges du Tribunal administratif tout comme le refus de la demande de récusation de nombre d’entre eux en lien avec l’élection présidentielle, « constituent une atteinte à l’intégrité et la neutralité du juge, selon le rapport de la commission ».
Invoquant un « devoir national », les parlementaires auteurs de cette initiative avancent qu’ils ne veulent pas altérer le fond de la loi électorale et que les amendements concernent la question des recours mais requièrent le transfert de cette compétence de la justice administrative à la justice judiciaire, étant « en présence d’un danger imminent ».
Une minorité de députés considèrent en revanche que cet amendement risque d’attiser les tensions et d’impliquer le Parlement dans une querelle politique qui n’est pas la sienne, face à « une loi sur-mesure » pour l’exécutif. Cette initiative porte en effet préjudice à la crédibilité de la justice administrative et à son prestige, ont-ils argué, tout en s’interrogeant sur la capacité de la justice judiciaire à faire face aux pressions, étant donné le manque de moyens et le nombre croissant des affaires qui lui sont soumises.