Tunisie. Le Parlement donne son feu vert à la Banque centrale pour combler le déficit de l’Etat
C’est sinon un plongeon dans le vide, du moins une mesure fort controversée. Le Parlement a adopté tard dans la nuit du 6 au 7 février un amendement qui permet « à titre exceptionnel » le financement direct du budget par la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Unanimes, la plupart des experts craignent que l’Etat ne soit tenté par faire de cette exception la norme, en optant à l’avenir pour ce raccourci fort commode à court terme, ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences sur l’inflation mais aussi la valeur du dinar tunisien.
Pour l’économiste et analyste financier Moez Hadidane, nous avons ouvert la boîte de Pandore : « Ils recommenceront ! L’Histoire montre qu’en cas de crise ou encore d’année électorale, les pouvoirs disposant de cette sorte de ligne de crédit à portée de main n’hésitent pas à en abuser », prévient-t-il, tout en tempérant son propos néanmoins en citant des exemples récents où des voisins de la Tunisie ont eu recours à ce même schéma avec plus ou moins de garde-fous.
Dans ce qui s’apparente à un simulacre de débat sans présence d’experts, une Assemblée des représentants du peuple (ARP) acquise à l’actuel pouvoir présidentialiste ainsi a approuvé à une confortable majorité de 92 voix sur 133 un amendement à une loi de 2016 qui garantissait l’indépendance de la BCT, qui lui interdit de financer le Trésor public, dans un souci de bonne gouvernance balayé aujourd’hui d’un revers de main.
Quelques gages donnés par l’exécutif
En clair, ce texte de loi autorise la BCT à prêter « exceptionnellement » à l’Etat la bagatelle de 7 milliards de dinars (soit environ 2 milliards d’euros), « remboursables sans intérêts », autoproclame la loi, en dix ans après une période de grâce de trois ans. La messe est dite. Un esprit législatif rejoignant la doctrine du président Kais Saïed pour qui « le temps est venu pour la Tunisie de compter sur ses propres moyens », « mais à quel prix ? » rétorque l’opposition non représentée au Parlement.
En théorie et en l’absence de prêt du FMI dédaigné par Saïed, ces fonds serviront à combler partiellement le déficit budgétaire abyssal de 2024 (quelques 28,7 milliards de dinars) dont 16 milliards d’emprunts extérieurs sur lesquels dix milliards n’ont pas été trouvés. Durant le débat précédant le vote, la ministre des Finances Sihem Boughdiri Nemsia a assuré que ces fonds « ne sont pas destinés à financer des dépenses courantes », a-t-elle martelé, sans convaincre nombre d’observateurs dont c’est l’une des principales inquiétudes.
Trois milliards de dinars (900 millions d’euros) serviront en effet selon la ministre à rembourser d’anciennes dettes étrangères, toutefois « une partie (du prêt) sera utilisée pour financer des investissements publics ».
Quelques rares voix de députés ont tout de même critiqué « une solution de facilité » : « Nous n’avons pas pu avoir des emprunts à l’extérieur, alors nous empruntons à l’intérieur », a résumé en substance Hichem Hosni, député indépendant.
Selon l’économiste Aram Belhadj, le recours à la BCT « est la conséquence directe de la fermeture des portes dans les négociations avec le FMI » sur un prêt d’environ deux milliards de dollars. Une aide rejetée avec fracas au printemps dernier par le président Kais Saied, au motif que les réformes à mener en contrepartie ne seraient pas soutenables pour les Tunisiens.
Le gouverneur de la BCT, Marouane Abassi, dont le mandat arrive à expiration dans quelques jours à la mi-février, a averti que le prêt de la BCT allait entraîner « une baisse des réserves en devises » avec des effets potentiellement négatifs sur le dinar tunisien.
Pour Belhadj, cet emprunt de la BCT risque de stimuler une inflation déjà forte (environ 8%), dans la mesure où cela générera « une quantité de monnaie en circulation sans contrepartie en termes de biens et de services » produits, tout en retardant sine die les réformes macroéconomiques nécessaires dont la restructuration des entreprises publiques fortement déficitaires.