Tunisie : le ministre de l’Intérieur démis de ses fonctions
Coup de théâtre, le chef du gouvernement Hichem Mechichi a décidé de limoger son ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, dans l’après-midi du mardi 5 janvier. Si le bref communiqué de la présidence du gouvernement ne précise pas les raisons de cette brutale éviction, il existe d’évidentes motivations récentes, ainsi que des causes plus profondes, éminemment politiques, pour expliquer ce passage en force de la Kasbah.
C’est le chef du gouvernement lui-même qui assurera l’intérim à la tête du département de l’Intérieur, précise la même source. En somme, Mechichi exercera donc temporairement à nouveau les fonctions de ce ministère-clé dont il avait déjà la charge avant de devenir en septembre dernier chef du gouvernement.
Une genèse gouvernementale bancale
Pour comprendre ce énième rebondissement illustrant la désormais chronique instabilité gouvernementale, il faut revenir à la très particulière genèse du gouvernement Mechichi, issu de la chute consécutive des deux gouvernements Jemli et Fakhfakh, respectivement pour non obtention de la confiance au Parlement et pour démission suite à des soupçons de corruption.
La formation présentée alors par Hichem Mechichi étant constitutionnellement celle de la dernière chance avant une impérative dissolution de l’Assemblée, le président Kais Saïed avait alors repris la main d’autant que le discrédit atteignait désormais y compris Carthage. Mais non seulement Saïed allait proposer le discret Mechichi, avec qui il s’est brouillé depuis, à la tête de l’exécutif, il allait par ailleurs outrepasser ses prérogatives de président de la République en tenant à nommer lui-même plusieurs ministres du gouvernement Mechichi.
La Constitution tunisienne de 2014 met en effet uniquement les portefeuilles régaliens de la Défense et des Affaires étrangères sous la tutelle partielle du président. Juriste constitutionnaliste, Saïed va pourtant exiger notamment Taoufik Charfeddine, inconnu au bataillon, à l’Intérieur, aux côtés de six autres ministres dont celui de la Culture qui a depuis lui aussi connu le même sort, évincé à la première faute grossière dès octobre 2020.
Dans ce contexte, l’éviction de Charfeddine intervient dans la continuité de cette érosion du pouvoir présidentiel au profit de la majorité gouvernementale qui aura donc eu raison un à un des ministres indisciplinés. Un scénario inéluctable pour une équipe rattrapée par son hétérogénéité et sa fragile construction initiale, fondamentalement bancale, voire inconstitutionnelle.
Le coup de force avorté du tandem Charfeddine – Saïed
Depuis sa nomination il y a 4 mois à peine, Taoufik Charfeddine, avocat originaire de Sousse qui avait coordonné la campagne présidentielle de Saïed dans cette région, il n’a pas échappé à Hichem Mechichi que le président de la République a convoqué à plusieurs reprises « son homme », le ministre de l’Intérieur, au Palais de Carthage. En soi, ces entrevues constituaient une provocation, étant contraires à l’esprit des institutions telles que définies par la Constitution, qui prévoit moins un exécutif à deux têtes qu’un exécutif avec un chef, en l’occurrence Mechichi, dans le cadre d’un régime parlementaire mixte.
Selon plusieurs sources concordantes, l’incartade de trop fut le chantier unilatéral entrepris par Charfeddine à des postes sensibles la tête de différentes directions de la sûreté nationale, probablement mu en cela par la très conspirationniste doctrine présidentielle qui semble craindre plus que tout ce que Saïed appelle les « traîtres ».
Une dizaine de directions sont concernées. Il s’agirait entre autres des nominations de Sofien Rezgui à Nabeul, Hatem Zargouni au Pôle antiterroriste, Iskander Moussa à la direction de la Sûreté des personnalités, Mokhtar Hammami et Bilel Manaï à l’inspection générale de la Garde nationale.
Problème, Chrafeddine a publié l’ordonnance de ces nominations contre l’avis de son propre directeur de la Sûreté nationale, celui du directeur de la Garde nationale, ainsi que ceux des hauts gradés de son ministère. Autre souci de taille, Hichem Mechichi avait rejeté ces décisions et a informé son ministre de l’intérieur de cette fin de non-recevoir.
Mais visiblement assuré du soutien de Carthage, Charfeddine aurait outrepassé sa hiérarchie gouvernementale en exigeant la validation de ses propositions controversées.
Au moment où se dessinaient les contours d’un dialogue national en vue d’une sortie de crise politique, ce coup de tonnerre vient exacerber une cohabitation déjà étouffante qui, en paralysant un pays tout entier, hypothèque encore plus les chances d’une quelconque relance économique post Covid-19.