Le gouvernement Chahed rencontrera une forte opposition
La scène politique tunisienne vit depuis quelques jours au rythme des spéculations. Sans doute prêt dès la mi-août, le gouvernement Chahed part avec plusieurs handicaps. Théoriquement celle de l’union nationale, sa composition sera davantage clivante que rassembleuse. Explications.
La photo tout droit sortie des boites de com’ des deux chefs de gouvernement sortant et désigné, cravates assorties et tout sourire au Palais de Carthage, cache mal un certain malaise. Le Conseil de la coalition du Front populaire a affirmé en effet avoir décliné hier l'invitation du chef du gouvernement désigné Youssef Chahed à rencontrer ses représentants.
« Je pense que la manière avec laquelle a été nommé M. Chahed est humiliante pour le peuple tunisien ». C’est en ces termes forts que Hammami durant son interview expliquant que le chef de l’Etat n’a consulté personne avant la nomination, mettant tout le monde devant le fait accompli, et transgressant par conséquent allègrement l’article 89 dans son 3ème paragraphe à propos de la nécessité de consulter les partis politiques.
« M. Chahed fait partie du cercle retreint du président et nous savions depuis des mois qu’il allait être nommé pour le poste » a ajouté Hammami, précisant que son parti a un programme ambitieux pour combattre la corruption : « Nous voulons montrer aux Tunisiens qu’une autre voie est possible pour sortir de cette mauvaise passe ».
Les ambitions strictement technocratiques d’Ennahdha
Faisant peu de cas des modalités de désignation de Youssef Chahed, Ennahdha poursuit son bonhomme de chemin conformément à ses aspirations à devenir durablement un parti de gouvernance.
Par la voix de sa jeune députée Sayida Ounissi représentant la circonscription France nord, le parti se montre sans détours « intéressé par les ministères techniques, ceux permettant de fournir des services concrets aux citoyens dans leur quotidien, loin des polémiques idéologiques et politiques, à l’image du ministère des Affaires sociales, le ministère de l’Energie, ou encore ceux de l’Emploi, des Technologies et de la Jeunesse et des Sports »…
Comme en guise de cadeau de consolation, Imed Hammemi d’Ennahdha a déclaré que son parti « ne voit pas d’inconvénient à ce que Habi Essid soit appelé à d’autres fonctions »… Beau joueur, le chef du gouvernement sortant sera donc probablement appelé à exercer des fonctions diplomatiques, ou de siéger dans un Conseil des sages, récompensé d’avoir joué le jeu de la transition vers la restauration d’un pouvoir semi clanique.
Samedi 13 août, journée nationale de la Femme en Tunisie, une manifestation aura lieu Avenue Bourguiba, sans rapport avec la traditionnelle marche féministe. Organisée par des groupes conservateurs radicaux attachés à la révolution du 14 janvier sous le thème « el bled mouch dar bouk », littéralement « ce pays ce n’est pas chez ton père, ndlr », la manif qui déclare le 13 août « jour de colère nationale » enverra un avertissement clair au pouvoir tenté par un retour aux logiques familiales d’antan.
En somme, sous Chahed, politique classique et pluralisme de l’opposition reprendront leurs droits. Au moment où des hommes d’affaires tels que Chafik Jarraya et Kamel Letaief sont soupçonnés d’avoir une influence grandissante sur les nominations gouvernementales, l’extrême gauche et les radicaux à droite d’Ennahdha se préparent à un long bras de fer contre le nouveau centre-droit au pouvoir qu’ils estiment sans aucun rapport avec les valeurs prônées par la révolution, cinq ans auparavant.
S.S