Tunisie. L’Aïd al-Adha en temps d’épidémie : un enjeu politico-sanitaire
A un peu plus d’une semaine de l’Aïd al-Adha prévu cette année pour le 20 juillet, c’est un débat de société qui s’engage en Tunisie entre pro et contre son observance en plein pic épidémique du variant Delta dans le pays.
Début juillet, le Mufti de la République, Othman Batikh, s’était dit fermement opposé à toute éventuelle annulation des rites de l’Aïd Al-Adha, estimant que cette fête est une « Sunna » hautement recommandée (« mouakada ») en islam. Ce haut représentant de l’autorité religieuse ajoute que « faire don de la valeur du mouton du sacrifice pour contribuer à l’effort national de lutte contre le Coronavirus demeure une affaire personnelle », en somme une exception à la norme conservatrice qu’il préconise.
Un véritable défi de santé publique
Au même moment commençaient à s’achalander les « rahba », ces places publiques aménagées en marchés de vente des moutons de l’Aïd aux quatre coins du pays, business as usual, comme au temps de l’avant Covid-19. « Pour beaucoup de familles à revenu limité, il ne faut pas oublier que cela revêt une fonction socio-culturelle : c’est l’occasion rare de manger de la viande à sa faim », rappelle un vendeur en cette année où les moutons bien en chair se négocient jusqu’à plus de 1000 dinars.
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Or, non seulement le gouvernement a depuis renforcé l’interdiction des rassemblements, mais le pays accuse l’un des pires retards en matière de campagne de vaccins dans la région MENA, avec à peine 700 mille tunisiens vaccinés et une mortalité galopante. D’où les préoccupations quant à la formation de nouveaux clusters dus non seulement aux marchés improvisés mais aussi aux problèmes d’hygiène liés aux déchets ménagers occasionnés par le rite lui-même, en pleine période de canicule estivale.
« En finir avec une conception superstitieuse et ritualiste de la religion »
Imam et éminent théologien zitounien, Zouheir Jendoubi a émis un avis divergeant avec celui du Mufti sur la question. « Il est tout à fait possible d’accomplir le rite de l’Aïd sans pour autant sacrifier notre patrimoine animalier. Ce ne serait pas la première fois qu’exceptionnellement, l’impératif moral est celui d’une allocation de ces ressources à d’autres priorités. Je rappelle que notre Prophète lui-même avait sacrifié deux moutons, le second étant symboliquement destiné à honorer le rite au nom de tous les croyants », soutient Jendoubi.
Le théologien poursuit en formulant une proposition destinée « par exemple au président de la République : ce dernier pourrait eu égard à sa légitimité faire le sacrifice au nom du peuple. Il en va de même pour tout dirigeant local ou figure jouissant d’une certaine autorité. Cela a valeur de jurisprudence et met fin à ce débat stérile. Non loin de nous, le Roi du Maroc Hassan II en a fait autant au moins trois fois », rappelle-t-il.
« Il est temps de nous départir de cette approche superficielle de l’islam faite de superstition et de ritualisme, qui fait une fixation sur le culte en lui-même au détriment des finalités et de l’esprit des dogmes », conclut l’imam d’obédience malékite.