Tunisie. La visite inopinée érigée en mode de gouvernance

 Tunisie. La visite inopinée érigée en mode de gouvernance

Les visites du président de la République Kais Saïed aux entreprises privées et publiques se suivent et se ressemblent. En cette année électorale, le chef de l’Etat multiplie les mises en scène où il fait irruption dans des institutions en difficulté. Redresseur de torts autoproclamé, il y déploie ce que l’opposition qualifie de « moraline » simpliste où la main invisible de la corruption est accusée de tous les maux.    

La visite d’hier mercredi 31 janvier au siège de la société nationale de cellulose et de papier alfa (SNCPA) à Kasserine ne déroge pas à la règle. « Nous n’accepterons plus jamais, pour quelque motif que ce soit, de céder nos établissements et entreprises publics dont la plupart de leurs équipements sont frappés de vétusté et de l’usure », a-t-il ainsi martelé, sans pour autant expliquer le bien-fondé de la conservation desdites entreprises déficitaires en tant qu’alternative à leur cession au plus offrant.

Selon une grille de lecture une fois de plus foncièrement complotiste, le président Saïed a déclaré en marge de ce déplacement dans cette région défavorisée que les établissements publics ont été délaissés à dessein et livrés à la dilapidation et à la négligence selon un plan ourdi par un « eux » indéfini. C’est cette rhétorique récurrente qui lui vaut le titre de « président opposant » dont le gratifient ironiquement ses détracteurs, une allusion à un Etat actuel qu’il incarne et qui se dédouane de facto des méfaits de l’Etat qui lui a précédé.

 

Chantier « d’assainissement »

Pointant du doigt « une corruption rampante des décennies durant qui se serait propagée dans le système des recrutements au sein de cette entreprise et bien d’autres, ainsi que le processus de conclusion des marchés et de l’acquisition des pièces de rechange », Kais Saïed a appelé à la nécessité de décréter en urgence des mesures permettant de sauver l’usine de cellulose et de papier, réitérant que sa visite à cette entreprise publique s’inscrit dans la perspective de trouver une issue à ce dossier brûlant et plus généralement à son projet d’« assainissement » du pays.

« Quiconque hésite à prendre des mesures urgentes face à une telle situation n’a plus de place au sein de l’État », a renchéri le président Saïed, affirmant qu’il est impérieux de « purger l’entreprise de la corruption et de moderniser ses équipements qui datent des années 1980 ».

Cette visite à la teneur inquisitrice fait écho à celle du 11 janvier dernier où le chef de l’Etat avait effectué une visite au siège de l’Office du commerce (OCT) où il a déclaré en y présidant lui-même une réunion qu’« un certain nombre d’employés et de responsables de l’Office sont impliqués dans une affaire de corruption […] Un autre est impliqué avec les lobbies de la distribution du café […] Il y a aussi un employé qui a intentionnellement dissimulé du café et d’autres produits de base et un responsable qui est connu pour des faits de corruption et son collègue dans le domaine de la contrebande a été impliqué dans une affaire de contrebande de cigarettes ».

Cependant est-ce bien le rôle d’un président de la République de lancer de telles accusations à l’emporte-pièce, ou encore de s’immiscer dans de tels détails en court-circuitant la hiérarchie ministérielle et administrative ? Dans un pays en crise où le temps du numéro 1 de l’exécutif est d’autant plus précieux, rien n’est moins sûr.

 

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