La Tunisie maintenue sur la liste noire du financement du terrorisme

 La Tunisie maintenue sur la liste noire du financement du terrorisme

Une annonce qui plombe sans doute l’ambiance générale de la visite de la délégation tunisienne à Paris


C’est un camouflet pour Youssef Chahed, précisément au moment où le jeune chef du gouvernement tunisien est en visite officielle à Paris, mais aussi un nouveau coup dur pour l’économie tunisienne. Une mise à jour révélée le 13 février maintient la Tunisie sur une liste noire de l’Union européenne des mauvais élèves en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Explications.



Věra Jourová


 


Concrètement, il s’agit d’une liste de 23 pays élaborée par la Commission européenne, qui présentent « des carences stratégiques dans leurs régimes de lutte contre le blanchiment de capitaux/le financement du terrorisme, dont 12 pays figurant sur la liste du GAFI et 11 pays et territoires supplémentaires ».


 


Enorme manque à gagner


Pour rappel, le but de cette liste est de protéger le système financier de l'UE en prévenant plus efficacement le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. À la suite de l'inscription sur la liste, les banques et autres entités relevant du champ d'application des règles de l'UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux seront tenues d'appliquer des contrôles renforcés (« vigilance ») pour les opérations financières concernant les clients et les établissements financiers provenant de ces pays tiers à haut risque, afin de mieux détecter les flux de capitaux suspects.


Selon l’expert économique Moez Joudi, cela se traduit en réalité par des mesures draconiennes qui impactent de plein fouet le système bancaire tunisien, les investisseurs potentiels, et plus généralement la santé économique du pays qui essuie des pertes chiffrées en centaines de millions de dinars tant que perdure cette épée de Damoclès.  


Věra Jourová, commissaire pour la justice, les consommateurs et l'égalité des genres, a déclaré à ce sujet : « Depuis juillet 2018, nous avons mis en place les normes les plus strictes au monde en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, mais nous devons veiller à ce que l'argent sale provenant d'autres pays ne se retrouve pas dans notre système financier. L'argent sale est le moteur de la criminalité organisée et du terrorisme. J'invite les pays figurant sur la liste à remédier rapidement à leurs carences. La Commission est disposée à collaborer étroitement avec eux afin de résoudre ces problèmes dans notre intérêt mutuel. »


 


Une liste pour le moins exotique


Les 23 pays et territoires concernés sont les suivants : Afghanistan, Samoa américaines, Bahamas, Botswana, République populaire démocratique de Corée, Éthiopie, Ghana, Guam, Iran, Iraq, Libye, Nigeria, Pakistan, Panama, Porto Rico, Samoa, Arabie saoudite, Sri Lanka, Syrie, Trinité-et-Tobago, Tunisie, Îles Vierges américaines et Yémen.


La Tunisie dans une blacklist aux côtés de destinations aussi improbables que les Îles Vierges… Voilà qui fait aujourd’hui les choux gras des chroniqueurs nationaux, pour qui le manque de volonté politique sérieuse est responsable de cette situation ubuesque.


Pourtant, fin 2018, la Banque centrale tunisienne avait engagé un audit inédit dans son genre concernant le financement des partis en Tunisie, plus particulièrement celui de certains hauts responsables du parti Ennahdha, et ce suite à un rapport accablant de la cour des comptes. C’est la fuite, fin janvier 2019, de certains détails de ce rapport qu’Ennahdha aurait très mal pris, accusant en coulisses des sources gouvernementales de les avoir leaké.


Une tension entre le parti islamiste et Youssef Chahed à ce sujet, confirmée encore hier soir sur la plateau de la plus grande chaîne TV privée du pays via Lotfi Zitoun, conseiller politique spécial de Rached Ghannouchi.


 


La CTAF en mode « damage control »


A Tunis, la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) qui se veut rassurante, a aussitôt tenté de clarifier hier mercredi en fin de journée que la Tunisie n’a pas d’être admise sur une nouvelle liste noire européenne mais qu’il s’agit d’une mise à jour de l’ancienne liste.


Pour autant, ladite commission a affirmé qu’elle a mis en place son plan d’action dans les délais impartis et que le rapport qui concerne la Tunisie sera discuté dans les prochains jours lors de la prochaine réunion du Groupe d'action financière (Gafi). Au chapitre de ses espérances, la prise en considération lors de cette réunion que la Tunisie a réalisé tous les points énoncés dans son plan d’actions, ce qui lui permettrait une hypothétique sortie de la liste du Gafi puis celle de l’Union européenne…


Rappelons que la Commission européenne est chargée de procéder à une évaluation autonome et de recenser les pays dits à haut risque, selon 3 facteurs :


– Ils ont une incidence systémique sur l'intégrité du système financier de l'UE;


– Ils sont considérés par le Fonds monétaire international comme des centres financiers offshore internationaux;


– Ils ont une pertinence économique pour l'UE et des liens économiques solides avec cette dernière.


Pour chaque pays, la Commission a évalué le niveau de menace réelle, le cadre juridique et les contrôles mis en place pour prévenir les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, ainsi que leur mise en œuvre effective. La Commission a également pris en considération les travaux du Groupe d'action financière (GAFI), l'instance normative dans ce domaine au niveau international.


Il y a 1 an, la Tunisie avait pour rappel été retirée d’une autre liste noire, celle des paradis fiscaux, mais pas de cette autre liste, aux conséquences plus graves encore, dont elle peine décidément à se défaire.  


Notons que parmi les faits majeurs de l’actualisation d’hier 13 février, l’entrée en fanfare de l’Arabie Saoudite, malgré les efforts de modernisation de Mohamed Ben Salmane. Signe que la Commission de l’Union européenne reste impassible face aux efforts de lobbying, et que Youssef Chahed devra user de chaque instant actuellement passé en France pour se débarrasser de ce point noir de son mandat qui, autrement, ne manquera pas de le rattraper à la présidentielle.  


 


Seif Soudani


 


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