Tunisie. La tenue d’un scrutin présidentiel en 2024 est-elle réaliste ?

 Tunisie. La tenue d’un scrutin présidentiel en 2024 est-elle réaliste ?

Si l’instance en charge de superviser les élections en Tunisie, tout comme le président de la République Kais Saïed, continuent de donner des signaux rassurants quant à la tenue de l’élection présidentielle fin 2024, ni le climat politique, ni le cadre législatif ne permettent aujourd’hui d’être catégorique, à seulement 6 mois de l’échéance fatidique théorique.  

« Une fois la deuxième chambre parlementaire instaurée, l’instance électorale se penchera sur les préparatifs en prévision de la prochaine élection présidentielle, dont notamment, l’élaboration du calendrier afférent à cette échéance », affirme Mohamed Tlili Mnasri, membre de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) dont les précisions à ce sujet se faisaient rares.

Dans une déclaration le 25 février 2024 à Sfax en marge d’une journée d’information sur le parachèvement de la mise en place de la deuxième chambre parlementaire, prévue en avril prochain, Mnasri a indiqué que la prochaine présidentielle aura lieu conformément à la date prévue, soit au cours du mois de septembre ou d’octobre prochain au plus tard, ce qui coïncide avec les trois derniers mois du mandat présidentiel, mais conformément à l’ancienne Constitution de 2014. Car c’est là l’une des subtilités passées sous silence par l’actuel chef d’Etat, qui ne s’est officiellement ni déclaré candidat (même si cela semble acquis), ni déterminé si son mandat actuel écoulé serait décompté en vertu de la nouvelle Constitution de 2022 et sur laquelle il n’a pas prêté serment.

Quoi qu’il en soit, Mnasri a ajouté que la loi électorale relative à l’élection présidentielle de 2014 maintiendrait les mêmes conditions de candidature à la présidentielle, « à l’exception d’une différence minime apportée par la Constitution de 2022 au niveau de l’âge, de la nationalité et de la jouissance des droits civiques et politiques, et ce, conformément aux dispositions de la décision réglementaire de l’ISIE. »

Lors de cette journée d’information, un exposé a par ailleurs été donné sur les différentes étapes du processus de création des conseils locaux, des règles d’organisation et de fonctionnement des conseils régionaux, des procédures d’élection des conseils des districts ainsi que sur le Conseil national des régions et des districts. Autant d’aspects de la réorganisation de la gouvernance locale telle qu’imaginée par l’actuel président Saïed dit de la « reconstruction par le bas », qui décentralise en apparence uniquement un pouvoir plus centralisé que jamais à Carthage.

 

Scepticisme de l’opposition

Pour l’activiste politique Adnane Belhajamor, soutien de la candidate Abir Moussi actuellement emprisonnée, et qui dénonce le spectre d’un scrutin sans l’ombre d’une compétition, « en temps normal et même dans les pseudo démocratie, une année électorale, spécialement une année de présidentielle, serait synonyme de dynamisation de la vie politique et de débats autour des alternatives et des programmes respectifs de chacun, voire de joutes verbales entre les favoris autour de leurs idées, etc. Or, au lieu de cela, nous avons un pouvoir qui au bout de cinq années d’exercice n’affiche aucun bilan significatif dont on pourrait débattre, au moment où le pays enregistre 0,4% de croissance ».

Contrairement à Belhajamor qui continue malgré tout à croire en la tenue envisageable d’un simulacre d’élection, d’autres composantes de l’opposition tunisienne considèrent que l’actuelle léthargie ambiante de la scène politique ne laisse aucunement présager de l’organisation du scrutin en question, encore moins à la date prévue à cet effet.

C’est notamment la posture de Mohammed Abbou, co-fondateur du parti Courant démocrate, et pour qui : « Kaïs Saïed ne compte pas organiser d’élection présidentielle en 2024 ». Il en veut pour preuve les déclarations de ce dernier à l’occasion de la commémoration du 23e anniversaire du décès de Habib Bourguiba. Saïed y avait déclaré qu’il « ne cédera jamais le pays à ceux qui n’ont aucun patriotisme ».

C’est également la position de l’ancien ministre et député Samir Dilou, qui estime qu’une élection présidentielle n’aura lieu qu’en l’absence de véritable concurrence. Pour Dilou l’ISIE est en outre aujourd’hui « soumise aux décisions du pouvoir politique » et « se compose désormais de membres nommés par le chef de l’État » rappelle-t-il. Selon le juriste, les déclarations du président de l’instance, Farouk Bouasker, au sujet d’une élection présidentielle représenteraient ainsi « de simples déclarations d’intention ».