La présidentielle entachée par des irrégularités de parrainage
C’est une sorte de nouvelle loterie nationale à laquelle on s’adonne en Tunisie : vérifier via un service SMS si l’on a oui ou non parrainé à son insu l’un des candidats à la présidentielle. Et les surprises sont nombreuses… Fraude massive, vol de données personnelles, ou dysfonctionnements en série ? Face à l’ampleur de la polémique, l’INPDP et l’ISIE ont dû réagir.
Pour rappel, selon le code électoral tunisien, chaque candidat à l’élection présidentielle doit obtenir le soutien d'au moins 10 députés de l’ARP ou de 40 présidents des conseils de collectivités locales élus (11 candidats des 26 candidats ont pu opter pour la voie parlementaire). Autrement, les prétendants au Palais de Carthage doivent collecter les signatures de pas moins de 10 mille électeurs inscrits au registre des électeurs.
C’est précisément ce laborieux processus, conjugué au manque de temps imparti par la présidentielle anticipée, qui a visiblement poussé les candidats les moins scrupuleux, ou probablement leurs agents et intermédiaires, à recourir à des moyens frauduleux, en espérant que personne ne découvre le pot aux roses.
C’était sans compter qu’en cette ère du tout numérique, les Tunisiens ont été informés lors d’un point de presse de l’ISIE que chaque citoyen peut vérifier s’il a involontairement parrainé un candidat à la présidentielle par téléphone portable en insérant ce code SMS : *195*, suivi du numéro de la carte d’identité nationale.
Recours en justice
Peu de candidats y échappent, mais certains noms sont davantage récurrents, dont certains sont même réputés pour leur intégrité : Mehdi Jomâa, Safi Saïd, Hechmi Hamdi, Néji Jalloul, Lotfi Mraïhi, Hamma Hammami, Kaïs Saïd…
« Toute personne ayant découvert que son numéro d’identification national a été utilisé, à son insu, pour un parrainage à la présidentielle pourrait porter plainte auprès du procureur de la République ou de l’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP) », a informé le président de cette instance Chawki Gueddes ce weekend. Il invite les personnes concernées par cette question à prendre la chose au sérieux et à joindre un constat d’huissier à leur dossier de plainte avant de saisir la justice.
« Mais que fait l’ISIE ? » s’étaient par ailleurs interrogé de nombreux commentateurs, invitant l’autorité électorale à sévir de la façon la plus ferme. 48 heures plus tard, le président de l’Instance électorale Nabil Baffoun s’est d’abord contenté de déclarer dans un premier temps que de telles réclamations pourraient servir à des campagnes de dénigrement conte les candidats incriminés. « Si ce n’est pas le cas, les personnes concernées devraient saisir le parquet », a-t-il ajouté, précisant que « cela aura des répercussions sur le dossier du candidat, une fois traité dans des délais raisonnables », sans plus de détails.
Côté ministère public, le porte-parole de la juridiction Sofien Sliti a indiqué que les délais du traitement de tels dossiers ne sont pas fixes. Il peut varier d’une semaine à un mois, a-t-il fait observer, soulignant qu’il n’existe pas de mesures exceptionnelles dans ce sens. Or, le temps de la justice entre en l’occurrence en conflit avec le temps électoral très court (liste définitive des candidats arrêtée le 31 août, et premier tour du scrutin le 15 septembre prochain).
Certains ont en outre fait remarquer la présence d’une faille dans la loi électorale qui ne prévoit pas non plus de mesures exceptionnelles pour sanctionner les candidats ayant falsifié leurs listes de parrainage. D’où la permissivité avec laquelle les collecteurs de signature ont apparemment agi. D’où aussi les appels à une ISIE forte, capable de taper du poing sur la table et de prendre une décision souveraine en la matière.
Depuis, l’ISIE a fait savoir le 17 août que des registres ont été ouverts, mis à disposition dans ses bureaux régionaux pour recevoir les plaintes des électeurs victimes d’usurpation.
La société civile se mobilise
En attendant, l’ONG de vigilance I-Watch a été la plus prompte à agir, en organisant une campagne sur les réseaux sociaux intitulée « #qui_a_falsifié ? », invitant les internautes à publier des captures d’écran dans le but d’exposer les noms des fraudeurs potentiels. Et les témoignages recueillis sont légion, parfois étonnants.
Citons ainsi un patron d’usine aurait détourné des centaines de données de ses employés pour parrainer un candidat, ou encore les habitants d’une région démunie qui se retrouvent parrains d’un candidat, après qu’ils aient signé une pétition pour faire goudronner une route départementale.
Si l’INPDP avertit que « toute usurpation d’identité dans le but de parrainer un candidat à l’élection présidentielle constitue un acte criminel qui tombe sous le coup du code pénal, conformément aux dispositions de l’article 172 et 175, relatifs à la fabrication et au détournement d’un faux », elle précise néanmoins que cette question ne relève pas de ses prérogatives.
Il semble clair aujourd’hui que les conséquences concrètes de cette situation vont dépendre de l’ampleur de la fraude : si en effet le nombre des faux parrainages n’est pas significatif et qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux pour impacter le processus de validation des candidatures, l’affaire sera sans doute reléguée aux oubliettes. Si en revanche, la fraude se chiffre en milliers de parrainages usurpés pour un candidat donné, le scénario d’une invalidation deviendrait envisageable.
Pour couronner le tout, deux députés d’Ennahdha, Karima Taggaz (circonscription France 1), et Maher Medhioub (circonscription monde arabe) ont formellement démenti leur parrainage du candidat à la présidentielle, indépendant ex Ennahdha, Hatem Boulabiar, après que la liste des parrainages parlementaires ait été publiée samedi par l’ISIE.
De quoi jeter un climat de la suspicion et du doute, susceptible de décrédibiliser l’ensemble de l’opération électorale et de démotiver un peu plus les électeurs, si ces faits ne sont pas suivis d’une réponse exemplaire.
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