La nouvelle droite populaire

 La nouvelle droite populaire

Mohsen Marzouk


Fuites en provenance de la loi de finance complémentaire, cadeaux fiscaux aux hôteliers et aux plus privilégiés, projet de loi d’amnistie des anciens bénéficiaires de la corruption, invitation en grande pompe de Nicolas Sarkozy… Au gré des premiers pas du gouvernement Essid, le nouveau pouvoir dévoile ses tendances droitières sans équivoque. Mais les rumeurs non démenties de listes électorales communes avec Ennahdha aux élections municipales et le rapprochement avec le « Courant de l’amour » de Mohamed Hechmi Hamdi donnent à voir un autre aspect de ce que l’on pourrait qualifier de nouvelle droite populaire. 




 


Une partie des classes les plus défavorisées et des classes moyennes peuvent-elles activement adhérer à un agenda politique qui va à l’encontre de leurs propres intérêts socio-économiques ? Aux Etats-Unis d’Amérique, l’Histoire récente nous offre un exemple édifiant nommé le Tea Party, davantage un regroupement de la droite du parti républicain qu’un parti à part entière. Un mouvement réactionnaire qui émerge au début de la présidence Obama, dans le contexte de la crise économique de 2008-2010.


 


Thé aux pignons, riz aux pignons, même combat ?


Bien entendu, à chaque pays ses spécificités, et toute « littérature comparée » en la matière trouve ses limites dans certains particularismes. Cependant, les deux modèles US et tunisien ont en commun des doctrines difficiles à appréhender vues de l’étranger. Le Tea Party est ainsi interprété aussi bien comme un parti anti-islam qu’un parti libertarien, né de la peur du déclin. Comme le phénomène Nidaa Tounes, il trouve un soutien massif auprès des personnes les plus âgées.


Le Tea Party est un parti populiste selon l'américanologue De Chantal, qui le présente comme le parti du « contre tout ce qui prélève des impôts ». En rejoignant le Tea Party, les adhérents cherchent à protéger les États-Unis des interventions de l'État Fédéral, qui est perçu comme liberticide lorsqu'il tente d'imposer des mesures égalitaires, l'inégalité étant ressentie comme un facteur naturel.


En Tunisie, la révolution de la dignité était essentiellement née de la revendication de redistribution des richesses. Dès 2013, prélude à « Errahil », des futurs médecins se sont mobilisés dans la rue contre les constituants qui avaient tenté de voter une loi les obligeant à officier en milieu rural pour faire face à la pénurie de spécialistes dans les régions. Calqué sur le modèle « Tamarrod », le sit-in du Bardo a perpétué le même esprit où étaient ouvertement moqués les « péquenauds » au pouvoir, et où se défoulait un certain « anti marzoukisme » primaire.


Le Tea Party s'en prend souvent avec virulence à Barack Obama, notamment en s’en prenant à ses origines, ce qui lui vaut de fréquentes accusations de racisme. De même, de nombreux membres du mouvement biblique évangélique ont rejoint en masse le mouvement.


En 2012, après l’acquisition du Club Africain, Slim Riahi, président de l’UPL, l’une des composantes de l’actuel quartet, avait brandi un Coran dans les gradins d’un stade en scandant qu’il était favorable à la charia islamique. Plus porté sur les mausolées, le référentiel religieux identitaire fut omniprésent dans la campagne électorale de Nidaa Tounes aux législatives et aux présidentielles. 


 


« Al Mahabbah », sans foi ni loi


En Tunisie, l’actuel pouvoir est en quelques sortes un Tea Party qui a réussi. Non content d’avoir attiré dans son sillage un parti Ennahdha traumatisé par le sort du président égyptien Morsi, le quartet décomplexé continue d’élargir son assise parlementaire, en donnant son aval au rapprochement avec l’ultra populiste « Courant de l’Amour », ex Pétition populaire, qui avait tenté de négocier en vain une alliance avec l’ex troïka en son temps.    


Durant les années de braise, le chef fortuné de ce parti à connotation tribaliste était apparu à plusieurs reprises dans des débats télévisés pour soutenir avec enthousiasme le régime de Ben Ali, en endossant le costume de l’islamiste repenti.


Le 31 juillet, Noureddine Ben Ticha, membre de la direction du parti, confie à La Presse : « Nous ne voyons aucun inconvénient à ce que Tayyar Al Mahabba accède à la coordination nationale des partis au pouvoir. Tant que Hechmi Hamdi et son parti ont exprimé leur volonté de soutenir le gouvernement, Nida Tounes ne peut que soutenir leur demande d’apporter leur expertise et leur savoir-faire. Et puis, ayons le courage de le reconnaître et de le révéler au public : Hechmi Hamdi bénéficie d’une crédibilité avérée dans une région aussi importante que Sidi Bouzid, plus particulièrement dans ses régions rurales. Il est important pour le gouvernement et pour Nida Tounes que cette région soit maîtrisée »…


Evoquant « le modèle algérien », Mohsen Marzouk, qui recevait Hamdi vendredi, avait au lendemain de l’attaque de Sousse émis l’idée de la création de comités populaires qui aideraient à dénoncer les suspects de terrorisme, tout en leur donnant un statut légal d’informateurs du ministère de l’Intérieur.   


Le 31 juillet toujours, Ajmi Lourimi, cadre d’Ennahdha, a déclaré que son parti « ne voyait pas d’inconvénient à ce que soient constituées des listes communes (avec Nidaa, ndlr) si cela pouvait contribuer à la réussite du processus de transition démocratique ».     


A priori « numériques » et sans aucune valeur commune, la coalition ou plutôt le groupement de ces partis, fort de ses relais médiatiques, a en réalité quelques dénominateurs communs, dont un programme économique libéral et un certain populisme « petit bourgeois », pour reprendre une expression chère à Gilbert Naccache.


Reconnaissons à ce rassemblement de toutes les droites le mérite d’achever de dessiner les contours de la nouvelle droite tunisienne, ce qui permet d’y voir plus clair dans un paysage politique où, en face, l’opposition démocratique hésite encore quant à elle à se rassembler autour d’un front uni.


 


Seif Soudani