La guerre des phosphates a déjà commencé

 La guerre des phosphates a déjà commencé

Maroc – Mostafa Terrab


En visite à Tunis, Emmanuel Macron ne s’est pas privé (en off, bien entendu) de s’inquiéter de la paralysie du principal secteur pourvoyeur de richesse de la Tunisie. Il faut dire que la Compagnie des phosphates de Gafsa est au plus bas depuis que des individus se relaient, encouragés par ce fameux « printemps arabe », à prendre en otage la principale industrie du pays. 


La paralysie de l’activité des différentes unités de la compagnie, dans les délégations du bassin minier à Metlaoui, Redeyef, Mdhilla et Om Larayes où des tensions ont éclaté, suite à l’annonce par la CPG, le 20 janvier 2018, des résultats de la quatrième partie du concours de recrutement d’un total de 1700 agents d’exécution est totale.


La production de phosphate n’a pas dépassé 160 milles tonnes, depuis le début de 2018, contre 500 milles tonnes, durant la même période de 2017, d’après la Compagnie des phosphates de Gafsa.


Résultat, la Tunisie a perdu tous ses clients d’Europe, d’Amérique latine et d’Asie à l’exception du Bangladesh.


Le voisin algérien, qui semble se réveiller d’une longue torpeur malgré des réserves de phosphates très importantes, joue la course contre la montre pour rattraper le temps perdu, en faisant appel notamment aux Chinois.


L’Algérie et la Chine ont ainsi procédé, il y a quelques jours de cela à l’installation d’un groupe de travail pour assurer la coordination et le lancement de projets de coopération devant être réalisés en partenariat entre des entreprises publiques algériennes et des sociétés chinoises où il est question de développer et d’exploiter des gisements de phosphate.


Sur le plan des investissements, il est prévu, courant 2018, le lancement de projets pour la production de l’acide phosphorique, à Tébessa pour l’exploitation de la nouvelle mine de phosphate de Bled El Hadba et le projet d’exploitation du manganèse à Béchar.


Dans la même veine, en janvier dernier, l’ambassadeur d’Iran à Alger, Reda Amiri, a fait part aux autorités algériennes du souhait de son pays d’acheter le phosphate algérien.


Pris à la gorge par la crise due à la baisse drastique des revenus du pétrole, les Algériens se sont fixés de produire 12 à 15 millions de tonnes en 2020.


Objectif trop ambitieux, selon les experts puisque jusqu’à présent seul, le Djebel El Onk recèle des réserves évaluées à 2 milliards de tonnes, même si les prévisions officielles avancent que d'ici 2020, l'entreprise algérienne Somiphos pourra transformer entre huit et dix millions de tonnes d'acide phosphorique, qui pourra générer au pays plus de 8 milliards de dollars.


Au Maroc, pour l’Office chérifien des phosphates (OCP), leader mondial sur le marché du phosphate et dérivés, (le royaume possède plus de 72 % des réserves mondiales) qui ambitionne d’atteindre une production de 12 millions de tonnes par an en 2018, les enjeux sont d’une autre nature.


Le royaume qui joue déjà dans la cour des grands dans ce secteur, surveille de près le pouls de l’Amérique, son principal marché et lorgne désormais sur l’Afrique où le groupe est bien introduit.


Les ventes à l’international de l’Office chérifien des phosphates ont ainsi atteint des niveaux records, en raison d’une forte hausse des exportations qui ont augmenté de 44% en 2017 et aussi grâce au flair du patron de l’OCP qui n’avait pas hésité, envers et contre tous, à réorienter la stratégie de l’OCP sur le contrôle du prix du phosphate et la diversification des marchés et des produits.


L’Afrique représente  désormais 40% de son chiffre d’affaires au 30 juin 2017. On comprend mieux la guerre sans merci que lui livrent des géants du phosphate, comme le norvégien Yara International qui a annoncé la signature, en novembre dernier une convention minière avec les autorités éthiopiennes qui devrait permettre le développement futur de la mine de potasse de Dallol.


Or l’OCP avait bien annoncé son intention de construire une usine d’engrais dans ce pays pour un montant confortable de 2,2 milliards d’euros.


En attendant, le précieux minerai est l’objet d’une guerre sans merci de la part de l’Europe et des Etats-Unis qui ne voient pas d’un bon œil, la maitrise de cette matière première stratégique aux mains de pays du sud.


Cela va des magouilles réglementaires au parlement européen pour imposer une limite stricte concernant la teneur en cadmium, un métal contenu naturellement dans les roches de phosphate aux recherches américaines visant à fabriquer en laboratoire un ersatz de phosphate qui aurait les mêmes propriétés fertilisantes que le produit naturel en passant par l’offensive chinoise en Afrique.


Une seule consolation, la grande guerre des engrais étant prévue pour 2042 par les spécialistes; d’ici, là, le Maghreb, définitivement réconcilié (il est permis de rêver)  aura acquis une situation de quasi monopole sur l’or blanc.


Abdellatif El azizi